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Canadian Public Health Association

Consultation sur une stratégive de réduction de la pauvreté

Couverture du document : Consultation sur une stratégive de réduction de la pauvreté

Réponse de l’Association canadienne de santé publique

Introduction

Porte-parole national indépendant et défenseur fidèle de la santé publique, l’Association canadienne de santé publique (ACSP) parle au nom des individus et des populations avec tous les ordres de gouvernement. Nous préconisons l’équité en santé, la justice sociale et la prise de décisions éclairées par les données probantes. Nous misons sur le savoir, repérons et abordons les problèmes de santé publique, et relions diverses communautés de pratique. Nous faisons valoir la perspective et les données probantes de la santé publique auprès des chefs du gouvernement et des responsables des politiques. Nous sommes un catalyseur de changements qui améliorent la santé et le bien-être de tous.

Selon l’Organisation mondiale de la santé, la pauvreté – le manque de fonds pour payer pour les nécessités de la vie – est le plus influent des déterminants de la santé . Elle a des effets sur tous les autres : le logement, la sécurité alimentaire, l’enfance, l’accès à l’instruction, l’emploi et les conditions de travail. Le faible revenu influence aussi les comportements comme la qualité du régime alimentaire, l’activité physique et la consommation d’alcool et de substances.

En plus d’être un résultat de la pauvreté, la mauvaise santé peut mener à la pauvreté, établissant ainsi une relation circulaire. Les personnes pauvres sont plus susceptibles de voir leur santé se détériorer, ce qui fait en retour qu’il leur est plus difficile de se sortir de la pauvreté.


De même, il existe un gradient social entre le revenu et la santé : la santé des personnes de statut socioéconomique inférieur est moins bonne que dans les tranches de revenu plus élevées. Le même schéma se reproduit à chaque niveau de revenu; les personnes appartenant à un quintile donné ont généralement une meilleure santé que celles du quintile inférieur, mais une moins bonne santé que celles du quintile supérieur. Les hommes qui habitent les quartiers les plus riches du Canada vivent en moyenne 6,8 ans de plus que les hommes des quartiers les plus pauvres, tandis que les taux de mortalité dans les quartiers les plus pauvres du Canada sont 28 % plus élevés que dans les quartiers plus aisés; les taux de suicide sont le double. En outre, les taux de maladies chroniques et transmissibles sont plus élevés chez les habitants des quartiers moins aisés : les pauvres présentent des taux plus élevés de cancers, de maladies cardiovasculaires, de diabète et de maladies mentales.

La pauvreté mine la qualité de vie; les populations à faible revenu ou démunies ont du mal à combler leurs besoins d’alimentation, de logement, d’emploi et de soins de santé, et elles sont moins bien renseignées sur leur santé. Elles dépensent donc leur revenu à combattre les conséquences de la pauvreté, ce qui perpétue le cycle. Le gradient social qui va du haut en bas de l’échelle socioéconomique démontre clairement qu’il y a une corrélation entre le fait d’être en bas du gradient économique et les problèmes de santé.

L’ACSP, en collaboration avec ses partenaires de la Coalition canadienne pour la santé publique au 21e siècle (CCSP21), a étudié et mis au point des options politiques fondées sur les preuves pour trois enjeux fondamentaux qui font le lien entre la pauvreté et les déterminants sociaux de la santé :

  • Les services éducatifs et de garde à l’enfance (SÉGE) : nous définissons et préconisons l’accès universel à des SÉGE de qualité, à prix abordable proportionné à la capacité de payer, pour toutes les personnes qui ont besoin de ces services;
  • Le revenu de base : nous appuyons en principe un revenu de base fondé sur un modèle d’impôt négatif sur le revenu, mais nous reconnaissons qu’il faut mener une analyse coûts-avantages et des expériences sociales appropriées (comme celle qui a cours en Ontario) pour déterminer la faisabilité d’un tel système dans le contexte financier actuel du Canada;
  • L’amélioration des logements au Canada, en abordant l’itinérance selon le modèle Logement d’abord, puis les besoins impérieux en matière de logement en améliorant la qualité et l’abordabilité du parc immobilier existant et en offrant un nouveau parc immobilier qui répond aux mesures de qualité convenable, de taille convenable et d’abordabilité de la Société canadienne d’hypothèques et de logement. 

[Les besoins impérieux en matière de logement sont un indicateur élaboré par la Société canadienne d’hypothèques et de logement pour déterminer si un logement est de qualité convenable—si, de l’avis de ses occupants, il ne nécessite pas de réparations majeures; de taille convenable—si le nombre de chambres est suffisant pour ses résidents au sens de la Norme nationale d’occupation; et s’il est abordable.

Un logement abordable est un logement pour lequel l’occupant ne paie pas plus de 30 % du revenu total du ménage, en comptant les dépenses liées au logement.]

Nous appuyons aussi les positions du Réseau pour une alimentation durable et des Diététistes du Canada concernant l’importance du revenu pour réduire l’insécurité alimentaire des ménages.

Réponses aux questions de la consultation menée par le gouvernement du Canada

Voici les réponses de l’ACSP aux huit questions posées dans le document de consultation :

1. Comment définissez-vous la pauvreté? Comment devrait-elle être mesurée? Faut-il combler certaines lacunes statistiques pour mieux comprendre la pauvreté au pays?

La pauvreté est l’état qualitatif où les personnes ne peuvent répondre à leurs besoins humains fondamentaux. Elle est souvent définie en termes absolus ou relatifs, le faible revenu servant d’indicateur technique. Pour les besoins de la présente discussion, les termes « pauvreté » et « faible revenu » sont utilisés de façon interchangeable. 

La mesure de faible revenu fondée sur un panier de consommation (MPC), le seuil de faible revenu (SFR) et les mesures de faible revenu (MFR), définis par Statistique Canada, sont des indicateurs utiles de la pauvreté. L’ACSP est en faveur de l’usage continu de ces indicateurs.

Il a toutefois été avancé que jusqu’à 70 % des personnes sous le seuil de la pauvreté seraient aussi des travailleurs. C’est pourquoi nous devons calculer périodiquement un « salaire vital » selon la MPC et élaborer de meilleurs indicateurs de la dynamique du travail, dont le nombre de travailleurs gagnant le salaire minimum.

Bien que 50 % des Canadiens à faible revenu aient recours au filet de sécurité sociale du Canada, un Canadien sur dix se trouve encore sous le SFR. Nous devons mesurer la dynamique du passage du faible revenu au « salaire vital ». Il est également nécessaire de mesurer les écarts de revenu qui existent entre les nombreux programmes de sécurité sociale en vigueur au Canada, ainsi que les obstacles à franchir lorsqu’on veut quitter ces programmes pour obtenir un emploi.

Il faut faire une distinction entre la pauvreté/le faible revenu et l’insécurité financière/l’inégalité des revenus, car les secousses budgétaires des ménages peuvent rapidement faire glisser les personnes à faible revenu dans la pauvreté. Nous devons donc élaborer de meilleurs modèles de l’impact de ces chocs de revenu.

Nous devons améliorer notre compréhension de l’intersectionnalité des facteurs comme la répartition inégale du pouvoir et les inégalités sociales, notamment selon le sexe, le genre et la race, qui peuvent mener à l’insécurité financière ou exacerber l’inégalité des revenus.

En raison de leur abondance et de leur diversité, les causes et les facteurs associés à la pauvreté dépassent le cadre de notre réponse à la consultation. La majorité des personnes à faible revenu ne restent pas dans cette tranche socioéconomique, mais certains Canadiens sont plus à risque de rester durablement dans une catégorie de faible revenu que la population générale. Ce sont notamment les personnes ayant des limitations d’activité, les célibataires, les familles monoparentales, les personnes n’ayant pas terminé leurs études secondaires, les membres de certains groupes autochtones et de minorités raciales, et les immigrants. Il faut faire plus d’analyses longitudinales de la pauvreté persistante.

Lorsqu’on discute de la pauvreté, il est important aussi de tenir compte des politiques gouvernementales conçues pour la soulager, mais qui peuvent gêner les tentatives des gens d’améliorer leur situation. Certains programmes diminuent la valeur des transferts de fonds et des crédits d’impôt consentis (ou les suppriment) lorsque le revenu personnel augmente; ce faisant, ils réduisent le revenu net gagné en travaillant. Par exemple, quand une personne sans emploi qui reçoit de l’aide sociale obtient un emploi, elle perd les avantages connexes (p. ex., le soutien dentaire et pharmaceutique); or, son emploi peut ne pas lui offrir des avantages équivalents, surtout si elle gagne le salaire minimum. Ce « piège de l’aide sociale » peut dissuader les gens de travailler. Pour compliquer les choses, la pauvreté se transmet de génération en génération; malgré tous ses efforts, une personne peut ne pas pouvoir échapper à sa situation. La difficulté est que de nombreux programmes conçus pour aider les personnes sous le seuil de la pauvreté ont des politiques sous-jacentes qui perdent cet objectif de vue, ce qui mène à la persistance des inégalités dans les populations, ou ils ont des contraintes administratives qui nuisent à la capacité des gens de se sortir de ces programmes.

2. Comment mesurer le succès d’une stratégie canadienne de réduction de la pauvreté? Quels objectifs devraient être établis pour mesurer les progrès réalisés?

Avec une stratégie de réduction de la pauvreté qui fonctionne, tous les habitants du Canada auraient un revenu suffisant et stable et des services pour répondre à leurs besoins fondamentaux, y compris les besoins impérieux en matière de logement, la sécurité alimentaire des ménages, l’accès opportun aux services de santé nécessaires, et des SÉGE disponibles, abordables et de haute qualité. Il faudra prendre des mesures pour démanteler le « piège de l’aide sociale » en offrant des services de transition, comme un soutien dentaire et pharmaceutique, quand les bénéficiaires obtiennent un emploi avec des avantages sociaux.

3. Quels indicateurs devrait-on utiliser pour suivre les progrès accomplis par rapport à une ou plusieurs cibles?

La pauvreté a le plus d’effets sur la morbidité et la mortalité des personnes sous le seuil de la pauvreté ou à faible revenu; ces indicateurs devraient être comparés aux résultats obtenus par les personnes qui vivent avec un revenu suffisant. Les effets en question se voient le plus clairement dans la durée de vie moyenne et dans les taux de maladies non transmissibles comme les cancers, les maladies cardiovasculaires, le diabète et les maladies mentales.

Le Module d’enquête sur la sécurité alimentaire des ménages (l’outil de surveillance national actuellement utilisé par Statistique Canada) est l’indicateur de l’insécurité alimentaire des ménages au Canada; son utilisation devrait continuer et devenir obligatoire pour chaque cycle de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes.

Les indicateurs du logement qui chiffrent l’itinérance ont besoin d’être peaufinés. Les besoins impérieux en matière de logement ne sont qu’un de ces indicateurs; il faudrait en élaborer d’autres sur la disponibilité de logements abordables, de qualité convenable et de taille convenable à tous les niveaux de revenu.

Un autre indicateur devrait porter sur la disponibilité des SÉGE, en mesurant par exemple les délais d’attente et les coûts de SÉGE agréés et abordables, et mesurer le respect par ces établissements de normes de qualité définies.

Le coefficient de Gini du Canada doit être surveillé pour ce qui est de l’inégalité des revenus; les diverses mesures de faible revenu et autres indicateurs économiques aideront à suivre les progrès réalisés.

4. Sur quels groupes devrait-on concentrer nos efforts? Quels aspects de la pauvreté devraient être priorisés?

La santé publique tente d’avoir un impact en infléchissant la courbe de santé des populations, autrement dit en déplaçant la répartition des revenus pour qu’il y ait moins de gens sous le seuil de la pauvreté et en la resserrant un peu pour atténuer la situation actuelle d’inégalité croissante des revenus au Canada. Cela aura un impact important sur la réduction de la pauvreté dans la population selon les indicateurs du revenu, en plus d’améliorer nettement la situation des bénéficiaires de l’aide sociale et des autres programmes du filet de sécurité sociale du gouvernement.

En outre, de nombreux groupes ont besoin qu’on leur accorde une attention spéciale, en premier lieu les Autochtones du Canada. L’influence de la colonisation sur les populations autochtones est reconnue, et ses résultats doivent être abordés. 

Les besoins des sans-abri devraient aussi faire l’objet d’une attention particulière. Des mesures importantes peuvent être prises pour améliorer leur situation en répondant à leurs besoins impérieux en matière de logement, sans conditions préalables. L’initiative Logement d’abord est un exemple d’un tel programme. 

De même, les besoins des ménages monoparentaux sous le seuil de la pauvreté ou à faible revenu devraient être abordés, suivis de ceux des personnes vivant seules et dans la pauvreté. Les besoins des réfugiés devraient aussi être comblés, car le pays a signé un contrat social avec eux pour les aider à réussir.

5. D’après vous, quels programmes et quelles politiques du gouvernement du Canada sont les plus efficaces pour réduire la pauvreté? Comment pouvons-nous les améliorer? Que pouvons-nous faire d’autre?

Le gouvernement fédéral contribue dans une large mesure à aborder les besoins des Canadiens âgés. La pension de la Sécurité de la vieillesse et le Supplément de revenu garanti, combinés au Régime de pensions du Canada, hissent de nombreux aînés canadiens à faible revenu au-dessus du seuil de la pauvreté et les aident à combler leurs besoins fondamentaux. Les rentes versées aux aînés au Canada sont une plateforme qui conviendrait au versement d’un revenu de base à tous les Canadiens âgés, et ces programmes pourraient être le modèle d’un revenu de base pour tous les Canadiens.

Les engagements des Budgets 2016 et 2017, lorsqu’ils seront pleinement exécutés, devraient contribuer à aborder les besoins des Autochtones, à renforcer les programmes de logement des sans-abri et à aborder les besoins impérieux en matière de logement au Canada. 

L’Allocation canadienne pour enfants semble être une mesure susceptible d’améliorer la situation des parents et de leurs enfants (étant donné qu’elle a certaines caractéristiques d’un programme de revenu de base), tandis que le programme Nutrition Nord amélioré pourrait offrir un certain secours aux habitants du Nord. Comme ces programmes sont jeunes et évoluent encore, il faudra du temps pour déterminer s’ils atteindront leur objectif respectif.

Un autre aspect qui pourrait fondamentalement changer le paysage de la pauvreté au Canada est l’élaboration d’un programme pancanadien universel (disponible à tous ceux qui en veulent) de services éducatifs et de garde à l’enfance. Son objectif serait d’offrir aux personnes qui en veulent ou qui en ont besoin des SÉGE de haute qualité dont les frais seraient abordables et proportionnés à la capacité de payer des parents.

6. Comment le gouvernement du Canada peut-il aligner sa stratégie de réduction de la pauvreté afin d’appuyer les efforts des provinces, des territoires, des municipalités et des collectivités?

L’un des défis du modèle de gouvernance fédéré du Canada est la division actuelle des compétences. Les provinces et les territoires ont le pouvoir suprême de répondre aux besoins de leurs citoyens, ce qui limite l’élaboration de programmes équitables dans une perspective pancanadienne. Les multiples facettes de la pauvreté compliquent encore les choses, car les solutions exigent l’intervention de nombreux programmes qui n’ont pas toujours le réflexe de collaborer. L’un des moyens de pallier à ces divergences est d’élaborer un cadre stratégique national avec des résultats clairs et acceptés, associés à des indicateurs d’efficacité, pour divers domaines ciblés, ce qui offrirait aux provinces et aux territoires, conjointement avec leurs municipalités et communautés, la latitude nécessaire pour élaborer des programmes qui répondent aux besoins locaux. Un financement fédéral est nécessaire pour soutenir les efforts des provinces et des territoires.

7. Quelles sont quelques-unes des initiatives ou innovations – canadiennes ou autres – que des gouvernements, des organismes communautaires, des experts universitaires ou des entreprises ont introduit ou proposé pour réduire efficacement la pauvreté?

À part les programmes mentionnés en réponse à la question 5, deux initiatives provinciales semblent répondre efficacement aux besoins spécifiques de la province. Le premier est le modèle québécois de prestation de SÉGE, qui offre un réseau de services de garde à prix fixe pour tous les enfants de cinq ans et moins, peu importe le revenu familial. Un tel modèle pourrait être imité dans le reste du Canada. Le deuxième programme provincial qui semble efficace (du point de vue des déterminants sociaux de la santé) est la démarche lancée par la Colombie-Britannique en établissant la Régie de la santé des Premières Nations. Ce modèle pourrait ne pas convenir dans toutes les provinces, mais il constitue un exemple d’effort non traditionnel d’élaboration et de prestation de programme qui mène souvent au progrès social.

8. Comment le gouvernement peut-il encourager un dialogue continu sur ses efforts portant sur la réduction de la pauvreté avec les autres ordres de gouvernement, des organismes communautaires, des experts universitaires et des entreprises?

Une démarche en deux volets pourrait efficacement encourager un dialogue continu. Le premier volet consisterait à rétablir un mécanisme de communication officiel avec les provinces et les territoires, peut-être par le biais du Conseil de la fédération, pour élaborer des objectifs et établir une stratégie globale de réduction de la pauvreté. Le second volet d’une telle démarche ferait appel aux connaissances et à la sagesse collective des personnes directement impliquées dans les enjeux; il faudrait inviter ces personnes à contribuer à un dialogue continu à mesure que la stratégie évolue vers sa mise en œuvre.

 


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