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Canadian Public Health Association

Mémoire au regard du projet de loi C-45

Mémoire au Comité permanent de la santé de la Chambre des communes au regard du projet de loi C-45; Loi concernant le connabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d'autres lois

Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois

Présenté par l'Association canadienne de santé publique
15 août 2017 

INTRODUCTION

Le projet de loi C-45 légalisera et réglementera l’accès au cannabis au Canada. Il vise à permettre la vente légale du cannabis et à présenter un cadre de santé publique pour contribuer à réduire les effets sanitaires et sociaux négatifs de l’usage de cette drogue tout en rectifiant les importants effets néfastes de la criminalisation de la possession de cannabis. Le projet de loi C-45 propose aussi des modifications aux lois sur la conduite avec facultés affaiblies dans le but de punir plus sévèrement les personnes conduisant sous l’emprise d’une drogue, y compris le cannabis, et il interdit de fumer et de vapoter du cannabis dans des endroits et des moyens de transport réglementés par le gouvernement fédéral. Par ailleurs, le budget fédéral 2017 prévoit du financement à l’appui des programmes de sensibilisation du public et des activités de surveillance liés au cannabis. 

L’Association canadienne de santé publique (ACSP) a présenté une description des enjeux à aborder dans les lois et les règlements sur le cannabis si une démarche de santé publique est envisagée. Bon nombre des dispositions du projet de loi concordent avec nos propositions. L’ACSP félicite donc le gouvernement fédéral d’avoir fait un pas important vers l’élaboration d’une démarche de santé publique à l’égard de l’usage du cannabis au Canada. 

Le projet de loi C-45 délimite aussi les sphères de compétence fédérales et provinciales ou territoriales (FPT). Il faudrait déployer d’autres efforts pour élaborer la loi, ainsi que les règlements et les lignes directrices connexes, pour réduire les différences d’approche entre les provinces. L’ACSP reconnaît la complexité des liens entre les pouvoirs publics fédéraux, provinciaux, municipaux et autochtones en ce qui concerne la réglementation et la vente de l’alcool et du tabac, ainsi que les précédents et les pouvoirs constitutionnels qui appuient ces régimes. Nous savons aussi que ces pouvoirs doivent être respectés dans la structuration de la loi sur le cannabis et des règlements à l’appui. Cette initiative est toutefois une rare occasion d’élaborer un système de contrôle qui respecte les droits de gouvernance FTP et autochtones tout en offrant une réglementation cohérente à l’échelle du Canada. 

Les thèmes liés au projet de loi C-45 qui nécessitent un examen plus approfondi sont abordés ci-après.

RECOMMANDATIONS

Paragraphe 10(5) : Possession en vue de la vente 

Ce paragraphe fait du crime de possession en vue de la vente une infraction punissable par mise en accusation qui peut donner lieu à un emprisonnement de 14 ans sur déclaration de culpabilité, y compris pour les jeunes de 12 à 18 ans. L’article 8 (Possession) et l’article 9 (Distribution) prévoient des peines similaires pour les plus de 18 ans, mais permettent l’imposition de peines spécifiques aux jeunes de 12 à 18 ans en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Selon l’ACSP, l’option d’imposer des peines aux jeunes sous le régime de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents devrait aussi figurer au paragraphe 10(5). Dans bien des cas, cette infraction est liée à la possession par les jeunes en vue de la vente à leurs pairs, et la stigmatisation découlant d’une telle condamnation peut causer un tort irréparable à l’avenir de ces jeunes – un tort qui éclipse l’infraction en tant que telle. Il faut prendre soin d’appliquer les règles proposées sur la possession en vue de la vente d’une manière qui reflète la gravité du crime.  

Paragraphes 158 (1) à (11) : Règlement sur l’accès au cannabis à des fins médicales 

Le Règlement sur la marihuana à des fins médicales (RMFM) du Canada autorise la consommation de cannabis à des fins médicales en réglementant strictement l’homologation, la culture et la distribution du produit; ce règlement semble rester en vigueur dans le projet de loi. Dans le rapport sur sa tournée d’étude au Colorado (un État qui entretient des systèmes de réglementation pour le cannabis vendu au détail et pour le cannabis médical), le Centre canadien de lutte contre les toxicomanies [aujourd’hui le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances (CCDUS)] souligne la confusion et les chevauchements qui résultent du maintien de systèmes parallèles. Pour cette raison, l’ACSP soutient qu’il faudrait modifier le RMFM actuel pour qu’il ne s’applique qu’à des situations particulières. 

L’ACSP reconnaît que certains patients qui n’ont pas l’âge légal pour acheter du cannabis peuvent avoir besoin d’accéder au produit, et que d’autres patients peuvent avoir besoin de concentrations plus élevées en tétrahydrocannabinol (THC) pour leurs traitements que ce à quoi ils ont accès par le système de vente au détail. Pour ces patients, des exceptions au nouveau cadre législatif et réglementaire pourraient être de mise. Les patients qui n’ont pas l’âge légal dans leur province ou territoire devraient avoir accès, sur recommandation de leur médecin, à des produits particuliers contenant du cannabis quand d’autres traitements ont échoué. De même, l’ACSP reconnaît que certains patients pourraient avoir besoin de formes de cannabis plus puissantes que celles qui seraient disponibles par le système de vente au détail. La distribution de ces produits spécialisés devrait être limitée aux personnes qui en ont médicalement besoin, et ils devraient être fabriqués par des fabricants autorisés.  

Paragraphe 139 (1) : Règlements 

Ce paragraphe confère le pouvoir de prendre des mesures par règlement et semble être la principale expression de l’objet du projet de loi, indiqué à l’alinéa (7)g), qui est « de mieux sensibiliser le public aux risques que présente l’usage du cannabis pour la santé ». Les alinéas de l’article 139 qui visent spécifiquement à mieux sensibiliser le public à la santé portent sur : 

  • f) l’emballage, l’étiquetage et la distribution; 
  • k) la composition et la teneur; 
  • n) la promotion; 
  • o) les renseignements sur l’emballage; 
  • p) l’exposition des emballages.

Nous attendons un processus consultatif transparent et inclusif menant à des règlements qui incarnent les principes de santé publique.  

Dans le projet de loi et les règlements éventuels, il est important de reconnaître explicitement certains concepts de santé publique et de proposer des façons de les intégrer. Ces concepts sont :  


La promotion de la santé – pour favoriser des comportements plus sains et à moindre risque, en plus de recourir à l’étiquetage et à l’emballage (alinéa f) et à la promotion (alinéas n, o et p). 

  • Élaborer et diffuser de l’information claire et cohérente sur les risques et les bienfaits potentiels de l’usage du cannabis, tout en reconnaissant que le mieux est de ne pas consommer le produit ou de retarder le début de la consommation dans la mesure du possible 
  • Élaborer et appliquer des politiques et des programmes qui renforcent les capacités communautaires et les compétences individuelles favorisant des comportements sains

La prévention et la réduction des méfaits – pour prévenir ou retarder le début de la consommation de cannabis et pour réduire la probabilité de méfaits causés par l’usage, l’usage abusif et/ou les surdoses – en plus de préciser des niveaux de THC (alinéa k). 

  • Établir les taux de la taxe fédérale sur les produits contenant du cannabis en fonction de leur concentration en THC (c.-à-d. taxer davantage les produits dont la concentration en THC est supérieure) 
  • Renforcer le soutien aux programmes de réduction des méfaits actuels et élaborer de nouveaux programmes, au besoin, pour aborder la consommation de cannabis 

De plus, nous pensons que le projet de loi gagnerait à contenir les dispositions suivantes pour renforcer l’affectation budgétaire de 2017 :  

Aborder l’estimation de la santé des populations – pour comprendre l’étendue de la consommation de cannabis et mesurer l’impact éventuel des interventions, des politiques et des programmes sur la population. 

  • Surveiller les statistiques de l’état civil, comme l’usage quotidien autodéclaré, l’âge d’initiation au cannabis, le type et la teneur des produits consommés, les raisons de la consommation, le sexe et le statut socioéconomique

Renforcer la surveillance de la santé des particuliers– pour comprendre l’impact sur la société et évaluer les effets de l’usage du cannabis. 

  • Surveiller les statistiques comme les visites aux urgences en raison des surdoses de cannabis et des traumatismes liés à l’usage du cannabis 
  • Surveiller les troubles liés à l’usage du cannabis 
  • Surveiller l’effet sur la santé du cannabis fumé ou consommé par d’autres moyens

Prévoir des services éclairés par les données probantes – pour aider les personnes qui éprouvent ou qui sont à risque d’éprouver des problèmes associés à l’usage du cannabis (et/ou à d’autres substances psychotropes). 

  • Créer des outils pour aider les médecins et les autres professionnels de la santé et des services sociaux à cibler les personnes à risque de contracter un trouble lié à l’usage du cannabis
  • Au besoin, adapter les programmes actuels de traitement des toxicomanies pour y inclure le cannabis

Ces démarches doivent reposer sur les meilleures informations disponibles sur ce qui fonctionne, ce qui pourrait fonctionner et ce qui ne fonctionne pas. C’est pourquoi l’ACSP invite aussi le gouvernement fédéral à soutenir, à élaborer et à mettre en oeuvre des programmes de recherche, y compris des études intergouvernementales, qui portent sur tous les aspects de l’usage du cannabis, en confiant l’établissement des priorités aux Instituts de recherche en santé du Canada. Ces initiatives doivent comporter un plan d’évaluation qui prévoit l’analyse opportune de ce qui fonctionne ou pas pour que des ajustements puissent être apportés.

ÉLÉMENTS À CONSIDÉRER

Définition d’une démarche de santé publique 

La santé publique est une démarche de maintien et d’amélioration de la santé des populations fondée sur les principes de la justice sociale, des droits de la personne et de l’équité et sur des politiques et des pratiques éclairées par des données probantes et qui tient compte des déterminants de la santé sous-jacents. Elle met la promotion de la santé (fondée sur la Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé), la protection de la santé, la surveillance de la santé des populations et la prévention des décès, des maladies, des traumatismes et des invalidités au coeur de toutes les initiatives connexes. Elle fonde également ces initiatives sur des données probantes concernant les méthodes fructueuses ou prometteuses. C’est une démarche organisée, globale et multisectorielle. Elle est axée sur des initiatives pragmatiques et tient compte de l’efficience et de la durabilité. 

Une démarche de santé publique reconnaît que la consommation abusive de substances est souvent le symptôme d’iniquités et de problèmes psychologiques, sociaux ou sanitaires sous-jacents. C’est pourquoi elle inclut la perspective des personnes qui consomment des substances psychotropes ou qui subissent les contrecoups d’une consommation abusive. Une notion vitale, selon cette démarche, est que les intervenants qui travaillent auprès des personnes concernées, ou sur des enjeux liés aux substances psychotropes, aient fait les études et possèdent la formation et les compétences nécessaires pour comprendre les besoins à la fois des utilisateurs de ces substances et de leurs familles et pour y répondre. Cette base de connaissances inclut la compréhension du lien entre la consommation de substances et les troubles physiques et mentaux. 

Une démarche de santé publique assure aussi l’application d’un continuum d’interventions, de politiques et de programmes soucieux des avantages éventuels et des préjudices des substances, ainsi que des effets non intentionnels des politiques et des lois mises en oeuvre pour gérer ces avantages et préjudices. L’objectif est de promouvoir la santé et le mieux-être de tous les membres d’une population et de réduire les iniquités au sein de la population, tout en veillant à ce que les préjudices associés aux interventions et aux lois ne soient pas disproportionnés par rapport aux méfaits des substances mêmes. 

Il y a d’autres éléments à considérer dans d’éventuels règlements : 

Réduction des préjudices de la consommation 

Restrictions sur la publicité et la commercialisation afin de réduire la visibilité et l’attrait des produits  

Selon le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances, les facteurs qui poussent les jeunes à consommer du cannabis sont : l’excitation, la pression sociale, l’adaptation, la conformité et la compréhension accrue. En outre, les jeunes reçoivent généralement des messages contradictoires de leurs pairs, des médias, de leurs enseignants et de leurs parents ou tuteurs quant aux méfaits pouvant résulter de la consommation des produits du cannabis. Par conséquent, les jeunes considèrent globalement l’usage du cannabis comme étant relativement inoffensif; ce point de vue devra être pris en compte lorsqu’on établira la loi et les règlements. Il faut également reconnaître que la publicité du tabac est presque entièrement interdite, et que des restrictions sont imposées sur la publicité des produits alcoolisés. De telles stratégies devraient servir d’exemples pour tout mécanisme de contrôle élaboré pour la commercialisation et la publicité des produits du cannabis.

Taxation et établissement des prix  

Il convient d’examiner soigneusement la taxation et l’établissement des prix. La difficulté sera de déterminer à la fois l’élasticité par rapport au prix des produits nouvellement contrôlés et d’établir un niveau de prix qui tient compte du coût du produit et des marges bénéficiaires, et un taux de taxation qui exerce un effet dissuasif sur la vente, particulièrement chez les jeunes, tout en limitant l’éventualité d’entretenir un marché illégal. On trouve des exemples de ces considérations d’établissement des prix pour les ventes d’alcool et de tabac. Dans les deux cas, la taxation sert à décourager les ventes, mais on peut soutenir que les hausses supplémentaires des taux de taxation de l’alcool et du tabac ne sont plus efficaces pour réduire les ventes. Notons aussi qu’aux États-Unis, les taux de taxation des produits du cannabis varient d’un État à l’autre; le taux actuel dans l’État de Washington est de 44 %, tandis qu’il est de 29 % à Denver, au Colorado. Enfin, un éventail de produits comportant diverses teneurs en THC et différents niveaux de risque pourraient faire leur entrée sur le marché du cannabis. Il faudrait donc songer à établir les taux de taxation de ces produits en fonction de leur concentration en THC.  

Investissements dans la promotion de la santé, la réduction des méfaits et les services de traitement 

La Déclaration de Vienne réclame « la réorientation des politiques liées aux drogues vers des approches fondées sur des preuves qui protègent et renforcent les droits humains » et « l’adoption et l’évaluation d’interventions scientifiques de prévention, de réglementation, de traitement et de réduction des préjudices ». Cette démarche est expliquée dans le document de travail de l’ACSP sur les substances psychotropes illégales, qui définit, pour les programmes, des exigences en matière : 

  • de sensibilisation, d’information et de connaissance; 
  • de prévention primaire, surtout chez les enfants et les jeunes;
  • d’autonomisation, de réduction des méfaits et de traitement;
  • de réduction de la stigmatisation et de la discrimination; 
  • d’évaluation.

Restrictions sur les concentrations en THC

Il se vend un éventail de produits possédant différents niveaux de THC. Soulignons aussi que les concentrations en THC sont en hausse depuis les 10 dernières années : elles ont grimpé de 3 % à 16 % ou plus. Il est nécessaire de limiter la teneur en THC de tous les produits du cannabis. Pour le produit sec, il faudrait établir une concentration en THC maximale de 15 %. Ce niveau est fondé sur la teneur en THC du produit actuel et sur les niveaux établis par les États du Colorado et de Washington.

Établissement d’un système de production sûr et responsable

Emballage et étiquetage des produits 

Les gouvernements devraient prendre des mesures pour informer les citoyens des préjudices possibles associés à la consommation du cannabis et des produits qui en contiennent, ainsi que des pratiques de consommation sans danger. Ces mesures pourraient inclure : l’interdiction de la publicité générale des produits contenant du cannabis, comme pour les produits du tabac, ainsi que les exigences proposées de banalisation des emballages. Il faudrait imposer des contraintes à l’utilisation de sigles et de graphismes d’entreprises sur les emballages et dans les supports publicitaires. Il faudrait également envisager l’imposition d’exigences d’étiquetage incluant des mises en garde sanitaires et des contre-indications éclairées par les données probantes, comme cela se fait pour la bière, le vin et les spiritueux (si les données probantes confirment ces désignations), et de l’information sur l’accès aux services de soutien. 

Application des mesures de sécurité publique et de protection de la population 

Gestion du marché illicite 

La légalisation du cannabis pourrait réduire considérablement les activités illégales. Jusqu’à maintenant toutefois, aucune preuve concluante à l’appui de cette assertion n’a été trouvée dans les États de Washington et du Colorado. Cela s’explique probablement par l’accessibilité et la sélection du produit légal et par l’absence de régimes d’application stricts ciblant le marché illicite. Le gouvernement du Canada pourrait devoir aborder les enjeux liés au produit et à l’accès tout en favorisant le respect systématique de lois renouvelées et plus strictes pour appréhender les personnes et les entreprises qui opèrent hors des limites du nouveau réseau légal.


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