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Canadian Public Health Association

Décriminalisation de la consommation personnelle de substances psychotropes

Couverture : Décriminalisation de la consommation personnelle de substances psychotropes

La consommation de substances psychotropes illégales au Canada persiste malgré les efforts soutenus visant à réduire leur consommation. La criminalisation des personnes qui consomment ces substances demeure le principal outil pour contrôler leur usage; cependant, elle reste vaine. 

Une nouvelle démarche s’impose : une démarche de santé publique. Une telle démarche sert actuellement à gérer la crise opioïde persistante en apportant des modifications à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et autres lois connexes1, notamment le renouvellement de la Stratégie canadienne sur les drogues et autres substances. Les modifications ont donné lieu à une démarche simplifiée pour obtenir la permission de mettre en place des établissements supervisés de consommation; le renouvellement de la Stratégie a permis pour sa part de réinstaurer la réduction des méfaits en tant que pilier. De même, la Loi sur les bons samaritains secourant les victimes de surdose offre une exonération contre des accusations de possession simple d’une substance contrôlée, ainsi que des accusations concernant la violation des conditions d’une mise en liberté conditionnelle, d’une ordonnance de probation, d’une peine conditionnelle ou d’une libération conditionnelle liées à une possession simple pour les personnes qui appellent les services d’urgence ou qui se trouvent sur les lieux lorsque les secours arrivent pour les personnes qui souffrent d’une surdose2. L’Association canadienne de santé publique encourage les provinces, les territoires et les municipalités à appliquer des mesures semblables dans leur sphère de compétence respective. Par ailleurs, l’Association reconnaît et appuie le droit des collectivités autochtones de gérer la consommation des substances psychotropes selon leurs protocoles traditionnels de justice ou culturels. Une démarche de santé publique a également été mise de l’avant pour la légalisation et la réglementation du cannabis et de ses produits connexes au Canada3

L’Association canadienne de santé publique remercie le gouvernement du Canada de prendre de telles mesures et encourage l’expansion continue de cette démarche en santé publique pour gérer toutes les substances psychotropes qui sont actuellement illégales, comme il est décrit dans le document de travail, Gestion des substances psychotropes illégales au Canada (2014)4. Au coeur de cette initiative est le renversement des obstacles juridiques qui portent préjudice aux personnes qui font usage de drogues. Une telle démarche pourrait ressembler à celle actuellement en vigueur au Portugal, comme il est décrit à l’annexe un.

RECOMMANDATIONS

L’ACSP demande au gouvernement fédéral de travailler avec les provinces et les territoires pour : 

  • décriminaliser la possession de petites quantités de substances psychotropes actuellement illégales à des fins d’usage personnel et offrir des solutions de rechange aux infractions punissables sur déclaration sommaire de culpabilité, notamment le recours à des absolutions inconditionnelles et sous conditions;
  • décriminaliser les ventes et le trafic de petites quantités de substances psychotropes illégales par les jeunes contrevenants à l’aide de dispositions légales semblables à celles mentionnées ci-dessus;
  • établir des procédures probatoires et proposer diverses solutions de rechange en matière d’application de la loi, notamment une plus vaste gamme d’options de traitement, pour les personnes qui contreviennent à la nouvelle loi sur les drogues;
  • établir une infrastructure de promotion de la santé et de réduction des méfaits afin que toutes les personnes qui désirent suivre un traitement puissent le faire rapidement;
  • offrir l’amnistie aux personnes qui avaient été déclarées coupables de possession de petites quantités de substances psychotropes illégales;
  • offrir un plus grand nombre d’options de réduction des méfaits fondées sur des données probantes qui comprennent, par exemple, un meilleur accès aux centres d’injection supervisés et aux services d’analyse de la pureté des drogues.

CONTEXTE

Au Canada, une enquête5 de 2015 indique que plus de 12 % des adultes et 21 % des jeunes âgés de 15 à 19 ans et 30 % des jeunes âgés de 20 à 24 ans ont consommé du cannabis au cours de la dernière année, tandis que 2 % de la population admettait avoir consommé au cours des 12 derniers mois au moins une des cinq drogues illicites (cocaïne ou crack, ecstasy, amphétamines ou méthamphétamines, hallucinogènes ou héroïne). Il s’agit d’une hausse de 1,6 % par rapport à 2013 qui est associée à une hausse de la consommation d’hallucinogènes et d’ecstasy. L’estimation des coûts associée à cette consommation était de 8,2 milliards de dollars en 2002, dont 148 millions de dollars ont été consacrés à la prévention et à la recherche et 5,4 milliards de dollars à l’application de la loi6. Les coûts de consommation actuels sont difficiles à évaluer puisqu’il existe peu d’analyses économiques récentes au sujet de cet enjeu. Cependant, la consommation de substances psychotropes illégales est devenue de plus en plus problématique comme en a témoigné la crise d’opioïde en 2016-2017, l’offre de produits synthétiques de plus en plus nocifs et la hausse de l’abus de médicaments d’ordonnance.

Ces problèmes persistants démontrent que la criminalisation ne réduit pas la probabilité de la consommation de substances psychotropes illégales et provoque souvent la stigmatisation et autres préjudices pour ceux qui sont pris en possession de petites quantités de substances aux fins d’usage personnel. L’effet de cette criminalisation ne reflète souvent pas la gravité du crime. Par exemple, la structure actuelle des amendes et des incarcérations cause plus de tort aux personnes situées au bas du gradient social, ce qui donne lieu à une plus grande inégalité en matière de santé. De même, l’incarcération fait obstacle à la réinsertion dans la société et ne fait qu’augmenter les divers problèmes liés à l’emploi (réduisant ainsi le potentiel économique de cette personne) et au logement (qui peuvent toucher directement et négativement la santé et le bien-être). Par ailleurs, il a été démontré que ces démarches perpétuent les méfaits socioéconomiques, particulièrement chez les collectivités racialisées7.

Il existe une solution de rechange à la criminalisation : une démarche de santé publique qui vise le maintien et l’amélioration de la santé des populations fondée sur les principes de la justice sociale, des droits de la personne et de l’équité, des politiques et des pratiques éclairées par des données probantes et sur la prise en compte des déterminants de la santé sous-jacents. Une telle démarche met la promotion de la santé, la protection de la santé, la surveillance de la santé des populations et la prévention des décès, des maladies et des invalidités au cœur de toutes initiatives connexes. Elle fonde également ces initiatives sur des données probantes concernant de ce qui fonctionne ou ce qui promet de fonctionner. C’est une démarche structurée, globale et multisectorielle, et fondée sur la Charte canadienne des droits et libertés8 ainsi que sur plusieurs conventions des Nations unies (ONU)9.

Les contraintes actuellement imposées sur la possession et la consommation des substances psychotropes au Canada se fondent sur notre engagement de respecter plusieurs autres conventions de l’ONU10. Ces conventions sont stipulées dans la Loi et le Règlement réglementant certaines drogues et autres substances, et autres dispositions législatives. Pourtant, la criminalisation de ces produits et des personnes qui les utilisent est reconnue comme ayant de nombreuses conséquences préjudiciables, notamment :

  • engorgement et ralentissement des systèmes de justice pénale résultant des poursuites pour les violations en matière de drogues pour des crimes non violents;
  • activités d’application de la loi et stigmatisation qui éloignent les personnes consommant des drogues illégales des services de prévention et de soins;
  • coûts de renonciation liés à l’attribution de ressources à l’application de la loi, aux démarches judiciaires et correctionnelles/pénales, ayant pour conséquence la pénurie de ressources dédiées aux démarches de santé publique et de développement social.

Il est aussi reconnu que la criminalisation contribue à la promotion et à l’accélération des infections comme le VIH et l’hépatite C puisque les conséquences sur le plan juridique et la stigmatisation associée à la criminalisation entraînent des pratiques non sécuritaires d’injection comme le partage et la réutilisation de syringes dans des lieux non sécuritaires.

À l’échelle nationale, des gouvernements provinciaux et territoriaux sont à l’avant-garde en ce qui concerne l’offre de services de santé publique visant à traiter les questions liées à l’usage de substances psychotropes illégales, et des municipalités telles que Vancouver, Toronto, Montréal ou autres ont intégré les principes de santé publique aux stratégies locales. À l’échelle internationale, plusieurs pays ont intégré une ou plusieurs pierres angulaires de la démarche de santé publique pour la gestion des substances psychotropes illégales. Par exemple, la Suisse s’est concentrée sur la décriminalisation et la réduction des méfaits. La Norvège, elle, se concentre sur le respect des droits de la personne et de la dignité des personnes qui consomment des drogues, tout en encourageant le traitement et l’abstinence. L’Australie reconnaît les inégalités sociales et sanitaires associées à la dépendance et à l’accoutumance.

Le recours à des sanctions pénales pour restreindre la consommation personnelle de substances psychotropes illégales a échoué sur le plan de la restriction du nombre de consommateurs ou de produits qui leur sont offerts. Les données probantes existantes soutiennent également les bienfaits associés à une démarche de santé publique et à sa capacité de réduire les méfaits. Cette démarche repose sur la décriminalisation de l’usage personnel des substances psychotropes, de la disponibilité de processus administratifs pour contrer la consommation et de l’application renforcée des lois sur la production, la vente et la distribution de substances psychotropes illégales.

ANNEXE UN

Portugal – Une politique globale et intégrée sur les drogues

Le Portugal a mis en place une démarche unique pour gérer les substances psychotropes illégales qui est fondée sur la reconnaissance que la consommation de substances illégales constitue un problème de santé. Ainsi, la possession et la consommation de drogues illégales demeurent illégales; toutefois, la sentence pour cette consommation n’entraîne pas de condamnation au criminel. À cet égard, l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies présente un profil détaillé de l’élaboration de politiques antidrogue au Portugal11.

En 2001, le Portugal a décriminalisé la possession de toutes les drogues et s’est plutôt intéressé aux problèmes de santé. Pour ce faire, il a établi un système juridique fondé sur les « tribunaux spécialisés en matière de drogues » où la possession et la consommation de petites quantités de drogues illégales sont traitées comme un problème de santé publique. En vertu de ce système, ces substances sont toujours illégales; toutefois, se faire prendre ne donne lieu qu’à des amendes peu élevées et la possibilité d’être envoyé à des programmes de désintoxication, au lieu d’être incarcéré. La stratégie sous-jacente met de l’avant 13 options stratégiques pour guider l’action publique, notamment :

  • le renforcement de la coopération internationale;
  • la décriminalisation, mais en maintenant l’interdiction d’en consommer;
  • accent sur la prévention primaire;
  • accès au traitement;
  • extension des interventions en matière de réduction des préjudices;
  • promotion de la réinsertion sociale;
  • élaboration d’un traitement et de réduction des préjudices en prison;
  • élaboration d’un traitement à titre d’option en prison;
  • accroissement de la recherche et de la formation;
  • élaboration de méthodologies d’évaluation;
  • simplification de la coordination interministérielle;
  • renforcement de la lutte contre le trafic de drogues et le blanchissement des capitaux;
  • investissement public doublé dans les domaines de la lutte contre la drogue.

On se doit également de reconnaître que la décriminalisation de la consommation de drogues n’est qu’un seul aspect des importantes modifications apportées à la politique antidrogue qui :

  • déplace la responsabilité de la politique antidrogue du ministère de la Justice au ministère de la Santé;
  • mène à une planification intégrée et détaillée;
  • souligne l’importance de l’évaluation à titre d’outil de gestion des politiques;
  • rapproche les politiques sur l’alcool et les drogues.

En vertu de ce système, le Portugal dénombre en moyenne trois surdoses liées aux drogues par million de citoyens, comparativement à une moyenne de 17,3 pour l’UE. Le Portugal a également réduit l’incidence des infections par le VIH chez les usagers de drogue et signale une consommation moins élevée de drogues dites de confection que dans d’autres pays, où des données fiables existent. Bien qu’il soit difficile d’établir lune relation de cause à effet, il semble exister une tendance positive entre une démarche de décriminalisation et l’amélioration de ces indicateurs de santé au Portugal12.

RÉFÉRENCES

  1. Gouvernement du Canada, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et apportant des modifications connexes à d’autres lois, 2017. Sanction royale reçue le 18 mai 2017. Voir http://www.parl.ca/LegisInfo/BillDetails.aspx?Language=F&billId=8689350.
  2. Gouvernement du Canada, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (aide lors de surdose), 2017. Sanction royale reçue le 4 mai 2017. Voir http://www.parl.ca/DocumentViewer/fr/42-1/projet-loi/C-224/troisieme-lecture.
  3. Gouvernement du Canada, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le code criminel et d’autres lois, 2017. Projet de loi C45. Étape de la deuxième lecture et de renvoi à un comité, 8 juin 2017.
  4. Association canadienne de santé publique. Nouvelle démarche de gestion des substances psychotropes illégales au Canada, Ottawa, 2014. Voir https://www.cpha.ca/fr/gestion-des-substances-psychotropes-illegales-au-canada.
  5. Santé Canada, Enquête canadienne sur le tabac, l’alcool et les drogues (ECTAD) - enquête de 2015, 2016. Corrections affichées en mars 2017. Voir http://www23.statcan.gc.ca/imdb/p2SV_f.pl?Function=getSurvey&SDDS=4440.
  6. J. Rehm et al., Les coûts de l’abus de substances au Canada 2002, Ottawa, Centre canadien de lutte contre l’alcoolisme et les toxicomanies, 2006.
  7. A. Khenti, « The Canadian war on drugs: structural violence and equal treatment of black Canadians », Inter J of Drug Policy, vol. 25, no 2 (2014), p. 190-195.
  8. L’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés prévoit « …le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale ».
  9. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques; le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels; la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants; la Déclaration sur les droits des peuples autochtones et la Convention internationale pour la protection et la promotion des droits et de la dignité des personnes handicapées.
  10. Ces conventions comprennent la Convention unique sur les stupéfiants (1961) de l’ONU; la Convention sur les substances psychotropes (1971) et la Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes (1988).
  11. Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, Drug Policy Profiles – Portugal, 2011, 26 p. Voir http://www.emcdda.europa.eu/publications/drug-policy-profiles/portugal.
  12. C. Ingraham, « Why hardly anyone dies from a drug overdose in Portugal », The Washington Post, 5 juin 2015. Voir https://www.washingtonpost.com/news/wonk/wp/2015/06/05/why-hardly-anyone-dies-from-a-drug-overdose-in-portugal/?utm_term=.b88c2ece7ef4.

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