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Canadian Public Health Association

Le jeu libre des enfants

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On parle de jeu libre*, quand les enfants suivent leurs instincts, leurs idées et leurs intérêts sans se voir imposer un résultat. Ce type de jeu peut inclure des formes de jeu comportant des défis et fournit des occasions d’explorer des frontières, ce qui permet aux enfants de déterminer leurs propres limites dans une variété d’environnements naturels et bâtis. Les adultes peuvent faciliter le jeu libre, mais non l’imposer. Les avantages associés au jeu actif à l’extérieur, un élément du jeu libre, sont décrits dans l’énoncé de position de 2018 de ParticipACTION1 et ont l’appui du Conseil des médecins hygiénistes en chef pour le Canada2.

L’accès au jeu libre dépend de l’importance accordée aux activités extrascolaires structurées et aux études, qui viennent souvent avant le jeu. En outre, les municipalités et les conseils ou commissions scolaires appliquent des stratégies pour réduire la probabilité de toute blessure liée au jeu, ce qui peut limiter les expériences de jeu des enfants et les avantages qui s’y rapportent. Ces démarches à court terme vont à l’encontre des bénéfices à long terme d’offrir aux enfants des occasions d’explorer des espaces qui offrent de riches expériences de jeu. L’accès à ces possibilités de jeu peut aussi être limité par la disponibilité d’aires de jeux naturelles et bâties en milieu urbain et rural et par l’influence du statut économique, de la couleur de la peau, du sexe, de la religion, de la culture ou de l’origine ethnique des enfants.

L’Association canadienne de santé publique (ACSP) reconnaît le jeu libre comme un droit de l’enfant et un élément essentiel à la santé et au bien-être durant l’enfance et la jeunesse. Il faut agir pour réduire les obstacles qui limitent les occasions de jouer librement à l’école et dans le quartier. L’ACSP félicite les conseils et commissions scolaires, les municipalités, les pouvoirs publics et les organisations non gouvernementales qui prennent des mesures concrètes pour améliorer l’accès des enfants au jeu libre; d’autres mesures sont néanmoins nécessaires§.

RECOMMENDATIONS

L’ACSP invite les parents et proches aidants, les éducateurs, les prestataires de services de garde, les conseils et commissions scolaires, les professionnels de la santé publique, le secteur privé et tous les ordres de gouvernement, y compris les gouvernements autochtones, à élargir l’accès au jeu libre dirigé par l’enfant en prenant les mesures suivantes :

Tous les ordres de gouvernement

  • Reconnaître le rôle essentiel du jeu libre dans le développement sain des enfants et des jeunes et adopter un mandat qui clarifie cette importance.
  • Élaborer et renforcer des politiques qui encouragent le jeu libre à l’extérieur en toute saison et par tous les temps.
  • Renforcer les investissements visant à améliorer et à protéger des aires de jeu naturelles n’excluant personne, situées à distance de marche des milieux de vie et d’apprentissage des enfants.

Gouvernements provinciaux et territoriaux

  • Investir dans la formation et le perfectionnement des intervenants auprès des enfants et des jeunes, des éducateurs et des directeurs d’écoles sur le jeu libre.
  • Modifier les conventions collectives des éducateurs pour que le temps d’encadrement à l’appui du jeu libre à la récréation puisse être allongé.
  • Réformer les règles de la responsabilité solidaire pour que les défendeurs n’aient à payer que le pourcentage des dommages dont ils sont jugés responsables.
  • Influencer le recours aux méthodes d’évaluation des risques et des avantages pour apaiser les craintes quant à la responsabilité civile des prestataires de services de garde et des conseils ou commissions scolaires à l’égard du jeu.

Municipalités

  • Pour élargir l’accès au jeu libre, établir une démarche communautaire qui instaure une vision commune et tient compte des inquiétudes des gens du quartier.
  • Améliorer la planification urbaine et les normes de conception pour augmenter le nombre et améliorer la qualité des parcs et des aires de jeu quatre-saisons dans les quartiers existants et les nouveaux ensembles résidentiels ou polyvalents.
  • Déterminer, selon le lieu géographique et le statut socioéconomique, s’il manque d’endroits sûrs où les enfants peuvent jouer librement, et combler les lacunes.
  • Influencer le recours aux méthodes d’évaluation des risques et des avantages pour apaiser les craintes quant à la responsabilité civile des municipalités à l’égard du jeu.

Organismes de santé publique

  • Renforcer les partenariats avec les organismes clés pour promulguer et mettre en évidence l’importance du jeu libre pour le développement sain des enfants et des jeunes et accroître la capacité d’appliquer des solutions stratégiques favorables à la santé.
  • Faire basculer les connaissances, les attitudes, les convictions et les comportements des parents et des proches aidants à l’égard du jeu libre par des démarches fondées sur le marketing, la communication et les médias sociaux.
  • Élaborer une prise de position en faveur du jeu libre qui emploie une démarche fondée sur les risques et les avantages pour concilier la prévention des blessures et les bienfaits pour le développement (physique, mental, cognitif et social) des enfants.

Recherche et surveillance

  • Recueillir, surveiller et communiquer des données sur les blessures des enfants dans les aires de jeux, notamment sur l’exposition et les caractéristiques démographiques, pour éclairer l’élaboration de normes et de politiques pouvant s’appliquer d’une province à l’autre.
  • Mener des études longitudinales sur les avantages du jeu libre.

Concepteurs d’aires de jeux

  • Adopter les principes de conception universelle pour que tous les enfants, peu importe leurs capacités, aient accès à une variété d’éléments de jeu, y compris à des éléments offrant des expériences sensorielles et tactiles.
  • Ajouter des éléments détachés** et des éléments naturels aux installations de jeu préfabriquées et aménager des aires de jeu naturelles qui incluent des éléments détachés.

Association canadienne de normalisation

  • Modifier la norme Z614 sur les aires de jeux pour qu’elle tienne mieux compte des besoins développementaux des enfants et de la prise de risques acceptables en jouant, notamment par l’adoption d’un processus d’évaluation des risques et des avantages.

L’ACSP reconnaît le besoin d’une prise de décision concertée fondée sur une démarche d’évaluation des risques et des avantages qui intègre les points de vue des enfants et des jeunes. Les décisions doivent être assorties de fonds suffisants pour créer et entretenir des aires de jeux naturelles et bâties. Seront aussi essentiels à l’application de ces recommandations l’élaboration et la mise en œuvre d’initiatives de formation et de sensibilisation à l’importance du jeu libre qui s’adressent aux acteurs non traditionnels. De telles initiatives doivent être adaptées aux besoins des parents, des personnes qui assurent, maintiennent et offrent l’accès au jeu libre, et de celles qui créent, appuient et entretiennent des aires de jeu intéressantes et comportant des défis pour les enfants.

CONTEXTE
Le jeu libre est l’affaire des enfants. Il fait partie intégrante du développement sain de chaque enfant et est enchâssé dans la Convention relative aux droits de l’enfantt à l’article 313. Quelles que soient leurs habiletés, les enfants et les jeunes ont tous besoin de temps, d’un espace suffisant et d’occasions de se livrer à des jeux de qualité3. Les types de jeu libre peuvent inclure : le jeu en hauteur; le jeu avec la vitesse; le jeu avec des éléments détachés; le jeu de bataille; et le jeu où les enfants peuvent « disparaître » ou « se perdre »††. Ni le sport organisé, ni le temps d’écrant (passé devant la télévision, l’ordinateur, une console de jeu, une tablette, un téléphone intelligent ou tout autre dispositif électronique) ne sont considérés comme des formes de jeu libre dirigé par l’enfant.

Les enfants canadiens bougent moins qu’avant, s’assoient davantage et se font imposer plus de limites à l’intérieur et à l’extérieur de l’école. Quand leur exposition à divers types de jeux est limitée, les enfants sont incités à adopter des comportements sédentaires‡‡ et sont privés des bénéfices du jeu pour leur bon développement affectif, mental, social et physique4. Pour contrer la sédentarité accrue de leur mode de vie, il y a eu récemment un appel aux enfants et aux jeunes canadiens à avoir « un corps actif pour un cerveau en santé5 ».

Le jeu libre présente toutes sortes d’avantages pour la santé et le bien-être des enfants et des jeunes :

  • Santé physique et motricité globale : Le jeu libre actif réduit les comportements sédentaires, favorise les poids-santé6 et améliore les habiletés motrices7. Il réduit l’adiposité et améliore la condition musculosquelettique et la santé cardiovasculaire8.
  • Santé mentale et stabilité émotive : Le jeu libre favorise le bien-être mental et affectif des enfants6,9, notamment le concept de soi positif10 et l’estime de soi11. Il appuie la formation et l’entretien de liens d’amitié, qui favorisent le maintien d’une bonne santé mentale12; le jeu physiquement actif peut réduire l’anxiété et les symptômes dépressifs10,13.
  • Santé sociale et travail d’équipe : Le jeu libre aide les enfants à améliorer leurs aptitudes sociales10, comme l’intelligence émotionnelle, la conscience de soi, l’empathie et la capacité de communiquer efficacement dans les situations où le compromis et la coopération sont nécessaires10,12.
  • Apprentissage et attention à l’école : Il est prouvé que le jeu libre favorise le développement des aptitudes cognitives (l’attention, la concentration, la capacité de garder le cap sur sa tâche et la mémoire)14 et qu’il améliore les comportements en classe15.
  • Résilience et habiletés de gestion des risques : Quand les enfants font l’expérience de l’incertitude durant les jeux comportant des défis, ils développent leurs réactions émotionnelles, leurs aptitudes physiques et leurs habiletés d’adaptation et améliorent leur capacité de faire face à l’adversité16,17,18. De bonnes habiletés d’adaptation favorisent la résilience et la bonne santé mentale nécessaires pour s’épanouir à l’adolescence et à l’âge adulte19.

Pressions sociétales
Les pressions sociétales et les attitudes parentales axées sur la surveillance et la surprotection augmentent, tandis que l’indépendance des enfants diminue. Les nourrissons et les tout-petits ont besoin d’être surveillés, mais il faut trouver un juste équilibre entre les inquiétudes justifiées et les bienfaits du jeu libre durant le développement des enfants, surtout chez les 6 à 12 ans. Pour ce dernier groupe, l’éducation « hélicoptère », ou hyper-parentalité, peut être perçue comme une érosion de la confiance parent-enfant20. Elle peut avoir des effets nuisibles sur le mieux-être mental des enfants et causer des problèmes psychologiques et une baisse de la confiance en soi21. L’hyper-parentalité peut limiter la capacité de l’enfant de se livrer librement au jeu libre autodirigé. À titre d’exemple, la mobilité indépendante des enfants (les distances qu’ils ont le droit de parcourir sans surveillance adulte)22 diminue depuis plusieurs générations23,24. Or, elle influence directement l’accès des enfants au jeu, car ceux qui ont le droit de parcourir de plus grandes distances sont plus susceptibles de rencontrer et de jouer avec des pairs25, d’être physiquement actifs et de jouer dehors régulièrement5. Sans mobilité indépendante, un enfant ne peut pas non plus se rendre à l’école à pied ou à bicyclette.

Plusieurs facteurs exercent une influence sur ces changements et sur le climat social en général :

  • Les Canadiens vivent dans une société compétitive où la réussite est valorisée, avec des activités extrascolaires au programme avant et après l’école;
  • Les messages véhiculés dans les médias traditionnels et les médias sociaux peuvent susciter de la peur à l’égard du jeu libre dirigé par l’enfant et rendre les gens réfractaires au risque§§;
  • La pression des autres parents peut amener soit à participer à la culture de réussite, soit à limiter la participation des enfants aux jeux autodirigés;
  • Des facteurs géographiques ou socioéconomiques peuvent limiter l’accès aux endroits sûrs où jouer en milieu rural ou urbain.

Il faut prendre des mesures pour informer et sensibiliser les parents et les proches aidants aux avantages du jeu libre, aux préjudices associés à l’hyper-parentalité et à l’importance que les enfants puissent jouer de façon indépendante. Des mesures pour rajuster les perceptions parentales du risque devraient être envisagées.

Contraintes budgétaires
Les conseils ou commissions scolaires et les municipalités ont souvent des contraintes budgétaires qui limitent les possibilités d’accès au jeu libre. Les coûts de construction, d’entretien et d’élaboration de programmes portant spécifiquement sur les paysages de jeux naturels peuvent mettre un frein à la création d’aires de jeux enrichies. Les établissements en région rurale ou éloignée, en particulier, ont plus de mal à obtenir les fonds nécessaires à la création d’environnements de jeu diversifiés que les conseils ou commissions scolaires et les municipalités en milieu urbain. De même, des aires de jeu peuvent être construites ou entretenues grâce à des activités de financement, mais les quartiers de faible statut socioéconomique ont moins de possibilités et de ressources disponibles pour de telles activités.

Aspects juridiques et prise de décisions
Les décisions des administrations municipales sont influencées par leur crainte des blessures et par la possibilité de réclamations en justice (souvent à la suite de plaintes de parents ou de proches aidants)26. Un tel processus décisionnel limite le jeu quand, par exemple, des accessoires, des structures ou des activités de jeu ou des occasions de jouer sont éliminés (interdiction de la glissade en hiver, etc.) pour réduire la probabilité de blessures. La difficulté, toutefois, est de distinguer les considérations de sécurité (l’élimination des aléas du site) de l’accès au jeu comportant des défis (la possibilité pour les enfants de tester leurs limites). Les aires de jeux devraient être « aussi sûres qu’il le faut » et non pas « aussi sûres que possible ». Les règlements municipaux peuvent aussi limiter le jeu, notamment en interdisant de grimper aux arbres sous peine d’amende, en interdisant le hockey de rue ou le jeu dans la rue ou en exigeant des permis d’accès aux espaces verts. Ces mesures de sécurité sont souvent appliquées sans tenir compte des besoins développementaux des enfants. La diversité des possibilités de jeu s’en trouve donc réduite.

Les conseils et commissions scolaires font face à des difficultés semblables, mais leur situation est plus complexe en raison des lois provinciales et territoriales sur l’éducation, qui attribuent aux autorités scolaires un devoir de diligence semblable à celui d’un « parent prudent ». Et les choses se corsent si l’on compare les exigences des Lois sur l’apprentissage et la garde des jeunes enfants et des Lois sur l’éducation provinciales et territoriales. Les différentes exigences peuvent faire obstacle à la prestation de programmes favorisant le jeu libre, surtout quand une garderie et une école partagent les mêmes locaux. Il faudrait élaborer des démarches uniformes pour mieux arrimer les exigences des Lois sur l’éducation et des Lois sur l’apprentissage et la garde des jeunes enfants.

La question de la responsabilité solidaire contribue à ces préoccupations lorsque la partie lésée est autorisée à recouvrer jusqu’à 100 % de l’indemnisation qui lui est accordée auprès de la partie qui est en mesure de payer, quelle que soit la mesure dans laquelle cette dernière est jugée avoir été négligente. Il faudrait réformer la responsabilité solidaire pour que l’indemnisation versée à la personne lésée soit proportionnelle à la mesure dans laquelle le défendeur est jugé avoir été négligent.

Politiques scolaires et en milieu de garde
Le jeu est un moyen d’apprentissage centré sur l’innovation et la créativité. Il offre des possibilités d’apprentissage dans un contexte où la réceptivité des enfants est à son plus fort. Le jeu et les travaux scolaires ne sont pas des catégories distinctes pour les jeunes enfants, et apprendre et faire sont inextricablement liés à leurs yeux. Il existe un lien solide entre le jeu et l’apprentissage, surtout dans les domaines de la résolution de problèmes, de l’acquisition du langage, de l’alphabétisation et des mathématiques, ainsi que du développement des habiletés sociales, physiques et affectives27.

Les services de garde sont des milieux importants pour atteindre ces objectifs développementaux par le jeu libre, et nous félicitons l’Ordre des éducatrices et des éducateurs de la petite enfance de l’Ontario d’avoir inclus « une prise de risque raisonnable » dans sa norme de pratique. Cette norme pour les éducatrices et éducateurs de la petite enfance inscrits (EPEI) confirme le besoin « [de créer] ou [de modifier] les milieux d’apprentissage intérieurs et extérieurs afin de les rendre propices à l’autorégulation, à l’autonomie, à une prise de risque raisonnable, à des expériences d’exploration stimulantes et aux interactions positives28 ».

Une revue systématique fait état d’associations positives entre la récréation et le développement des aptitudes cognitives (l’attention, la concentration, la capacité de garder le cap sur sa tâche et la mémoire)14,29. Le jeu à l’extérieur et le jeu à la récréation renforcent également les aptitudes de résolution de problèmes et de règlement des conflits30,31, tout en offrant des occasions d’apprentissage social et affectif, comme le contrôle de l’agressivité et la régulation des sentiments de colère et de frustration32. Il existe néanmoins des contraintes à l’accès au jeu libre à la récréation :

  • L’absence de temps réservé à l’encadrement dans les conventions collectives des enseignants, qui peut réduire la volonté du personnel enseignant de ménager des occasions de jeu libre;
  • Des programmes d’études structurés autour d’expériences prescriptives de jeux moteurs (c.-à-d. d’activités organisées durant les cours de gymnastique), ce qui n’est pas la même chose que de prévoir du temps pour le jeu libre;
  • La restriction des activités libres à la récréation par l’utilisation de règles de sécurité;
  • La suppression de la récréation à des fins disciplinaires;
  • La restriction ou l’interdiction du jeu à l’extérieur ou des périodes de récréation par mauvais temps.

Il faudrait prendre des mesures pour abandonner de telles restrictions.

Évaluation des risques et des avantages
Un risque peut avoir une issue positive ou négative. L’issue potentiellement négative n’est pas cachée, et la personne qui prend le risque a la possibilité de reconnaître et de mesurer la difficulté. Un aléa est une situation où la possibilité de se blesser est cachée aux yeux de la personne et où celle-ci n’a qu’une possibilité limitée de maîtriser la situation33 Le défi consiste donc à supprimer les aléas tout en laissant aux personnes qui participent à l’activité la possibilité d’accepter le niveau de risque qui leur convient.

La norme de l’Association canadienne de normalisation (CSA) sur les « Aires et équipements de jeu » (CAN/CSA-Z614) offre une base pour la sécurité des terrains de jeu qui réduit la probabilité de blessures graves ou potentiellement mortelles, mais elle n’est pas faite pour tenir compte des besoins développementaux des enfants. C’est une norme volontaire, et son usage prévu n’est pas précisé. En conséquence, son application dépend de l’utilisateur. Les pratiques quotidiennes associées aux aires de jeux sont toutefois très influencées par cette norme, dont les exigences ou les consignes de sécurité sont souvent appliquées par les décideurs comme un seuil minimal. C’est ainsi que la prévention de toute blessure prend le pas sur les bienfaits sociaux, psychologiques et physiques du jeu libre. Par conséquent, les structures de jeux conçues en fonction de la norme CSA peuvent ne pas être assez stimulantes, et elles peuvent imposer des limites au jeu avec des éléments détachés. Une autre option pourrait être l’emploi d’une démarche d’évaluation des risques et des avantages qui concilie les avantages du jeu libre et le besoin de repérer et de retirer les aléas pour permettre la création d’aires de jeux intéressantes. Une deuxième méthode à envisager pourrait être celle qui est intégrée dans les normes européennes ou australiennes pour les aires de jeux, où des terrains de jeu qui dérogent aux normes de sécurité peuvent être utilisés s’ils ne présentent pas de danger pour les utilisateurs.

Éléments détachés et jeu avec la nature
Les enfants qui jouent avec des éléments détachés sont plus actifs et plus susceptibles d’interagir avec leurs pairs qu’ils ne le feraient sur un terrain de jeu doté d’équipements fixes26. Le jeu avec des éléments détachés peut aussi aider les enfants à devenir plus sociables, plus créatifs et plus résilients34. Dans le même ordre d’idées, les terrains de jeu conçus avec des éléments naturels encouragent les enfants à jouer plus longtemps et à s’investir davantage que les structures de jeu contemporaines1,35, car les enfants ont tendance à préférer les environnements de jeu naturels à l’extérieur, et les terrains de jeu naturels peuvent leur offrir des expériences d’activité physique plus agréables4. Il manque cependant de directives à l’appui de la création de tels environnements.

Accessibilité des aires de jeux
L’ACSP félicite les provinces de l’Ontario, du Manitoba et de la Nouvelle-Écosse d’avoir adopté des lois générales sur l’accessibilité, ainsi que l’Annex H: Children’s play spaces and equipment that are accessible to persons with disabilities*** de la CSA, pour rendre les aires de jeux plus accessibles au Canada. Malheureusement, les lois sur l’accessibilité et l’Annexe H sont souvent mal comprises, ce qui engendre de la confusion et un manque de cohérence dans leur application. Un certain nombre d’aspects techniques peuvent aussi limiter le jeu pour tous les enfants, comme l’exigence de respecter une norme d’accessibilité minimale quand la construction ou la réfection d’une aire de jeux est prévue. La qualité du jeu peut donc être négligée, car c’est l’approbation des éléments techniques qui a préséance. Les plans de conception d’aires de jeu accessibles omettent souvent les équipements ou les fonctions qui appuient le jeu comportant des défis, ainsi que les éléments de jeux sensoriels et tactiles. Cette stratégie peut créer la perception que l’aire de jeu est ennuyante pour les enfants au développement typique et que ceux-ci l’éviteront. De plus, si l’on souligne les limitations fonctionnelles de certains enfants en concevant implicitement des aires de jeu qui leur sont spécifiquement accessibles, cela peut limiter leur accès aux expériences de jeu plus riches, par exemple :

  • en perpétuant la stigmatisation;
  • en limitant le nombre d’éléments de jeu différents, et donc le nombre d’expériences sensorielles et tactiles;
  • en excluant les enfants ayant des handicaps autres que physiques.

L’application des principes de conception universelle††† ou de la démarche de Herrington et Brussoni35 pourrait améliorer l’accessibilité des aires de jeux pour tous les enfants et répondre à leurs besoins en matière de jeu.

Communautés autochtones
Les communautés autochtones ont des forces et des limites particulières en ce qui concerne le jeu libre. Ces limites peuvent être l’accès restreint aux terres, le manque d’infrastructures de proximité, la vétusté des installations, des priorités concurrentes à l’échelle locale et les divers effets nuisibles de la colonisation. Les forces des communautés autochtones sont leur culture et leurs traditions qui favorisent le jeu libre, l’avantage géographique de l’accès à l’eau et à la terre (bien que cela présente encore des difficultés pour certaines communautés), les valeurs qui appuient le jeu libre, ainsi que les enseignements des aînés.

Autres éléments à considérer
Les études sur le jeu libre et les données consultées pour prendre des décisions liées au jeu peuvent être limitées par les incohérences dans l’emploi du mot jeu et de ses dérivés, comme le jeu comportant des risques, le jeu avec la nature, le jeu à l’extérieur et le jeu libre. L’absence de consensus autour de ces termes et définitions pose des difficultés pour en mesurer les effets et en comparer les résultats de façon systématique.

La publication de données sur les blessures et les méthodes de cueillette liées au jeu suscitent également des réserves :

  • Dans les statistiques sur le jeu, les dénominateurs sont difficilement comparables à d’autres sources d’information (p. ex., il est difficile de comparer le nombre d’enfants qui utilisent les terrains de jeux et d’enfants inscrits à des sports organisés);
  • Il manque de données sur les causes possibles des blessures (c.-à-d. l’accessoire ou l’équipement en cause et la catégorie de blessure [p. ex. les chutes]);
  • Il manque de données démographiques;
  • Les données recueillies sur les blessures ne précisent pas le lieu où l’enfant s’est blessé (p. ex. dans sa cour ou sur un terrain de jeux municipal);
  • Au besoin de données quantitatives devrait correspondre un besoin d’analyses et d’évaluations qualitatives pour qu’il soit possible de saisir les points de vue et les expériences des enfants, des parents et des proches aidants.

On parle de jeu libre quand les enfants suivent leurs instincts, leurs idées et leurs intérêts sans se voir imposer un résultat. Le jeu libre offre la possibilité de développer la santé physique, mentale, affective et sociale tout en contribuant aux habiletés de gestion des risques et à la résilience. Ces habiletés forment la base de la réussite des enfants dans leur parcours de vie. L’accès au jeu libre est cependant devenu limité, et il faut agir pour inverser cette tendance. Nos recommandations proposent une panoplie de mesures qui contribueront à améliorer l’accès des enfants au jeu libre.

Pour citer cette publication :
Association canadienne de santé publique (ACSP). Énoncé de position : Le jeu libre des enfants. Mars 2019. Sur Internet : https://www.cpha.ca/fr/le-jeu-libre-des-enfants.


* Cet énoncé de position a été préparé à la suite de notre projet d’élaboration d’une trousse d’outils stratégiques pour favoriser l’accès des enfants au jeu libre. Nous remercions la Fondation Lawson pour l’aide financière qu’elle a accordée à la préparation de la trousse.

Il n’existe pas de définition théorique du « jeu libre », mais l’expression en est venue à être utilisée comme un terme générique pour désigner le jeu dirigé par l’enfant qui se déroule de préférence en plein air, mais aussi à l’intérieur, et qui inclut la notion de jeu « risqué ». Son utilisation s’est imposée, car les décideurs hésitent à employer le mot « risqué » pour décrire le jeu.

L’ACSP reconnaît que les services éducatifs privilégient l’apprentissage par le jeu pour l’éducation des jeunes enfants, car c’est une démarche qui offre un continuum d’options, dont le jeu dirigé par l’enfant, et qui peut être plus ou moins dirigée par l’enseignant. Nous apprécions les avantages de cette démarche d’apprentissage et nous reconnaissons qu’il s’agit d’une relation importante et complexe. Pour satisfaire leurs besoins développementaux, les enfants ont aussi besoin de temps pour le jeu libre en milieu extrascolaire, de préférence à l’extérieur mais aussi à l’intérieur, pour pouvoir diriger eux-mêmes leur jeu avec ou sans la présence d’adultes (selon leur âge) et sans résultat imposé.

§ Les décisions pour élargir l’accès au jeu peuvent être facilitées par une trousse d’outils créée par l’ACSP.

** Les éléments détachés sont des matériaux qui peuvent être déplacés, transportés, combinés, remaniés, alignés, démantelés et remis ensemble de plusieurs façons. C’est le matériel qui ne vient pas avec des instructions particulières et qui peut être utilisé seul ou en combinaison (Outdoor Play Working Group, 2017).

†† Définition adaptée d’E.B.H. Sandseter, « Characteristics of risky play », Journal of Adventure Education & Outdoor Learning vol. 9, no 1 (2009), p. 3-21

‡‡ Le Bulletin 2018 de ParticipACTION indique que 76 % des jeunes de 3 à 4 ans et 51 % des jeunes de 5 à 17 ans dépassent les Directives canadiennes en matière de comportement sédentaire, qui recommandent de limiter à deux heures de loisir par jour le temps passé devant un écran5.

§§ Ils peuvent par exemple avoir peur que les enfants se blessent en jouant ou se fassent enlever.

*** Cette annexe établit des directives d’accessibilité minimales volontaires pour les aires de jeux aménagées ou réaménagées.

††† Les principes de la conception universelle se trouvent sur ici.


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