Les blessures sur les terrains de jeu
Quelques chiffres
Les articles de presse qui rapportent les tendances des blessures sur les terrains de jeu sont souvent embrouillés par l’utilisation de chiffres périmés et d’éléments de comparaison inégaux. Par exemple, un reportage publié en 2013 indique que 28 000 enfants par année se blessent sur les terrains de jeu canadiens, et qu’entre 2007 et 2012, le nombre de blessures a augmenté de 8 %1. Parallèlement, un article de fond sur le même sujet a fait état de 3 960 blessures liées aux terrains de jeu recensées dans 4 hôpitaux généraux et 11 hôpitaux pédiatriques au Canada en 2008, dont 1 918 hospitalisations de personnes de moins de 20 ans2. Ces rapports contradictoires alimentent la confusion autour de la sécurité sur les terrains de jeu. Ces deux exemples démontrent que la prudence est de mise quand on interprète les chiffres bruts concernant les blessures sur les terrains de jeu3. Environ 5 % des enfants vus par les services d’urgence sont hospitalisés; les autres sont traités pour des blessures superficielles et reçoivent leur congé.
La situation canadienne – État de la question
Selon les données les plus récentes, présentées par l’Institut canadien d’information sur la santé (2016), 1 841 enfants de moins de 18 ans ont dû être hospitalisés en raison de blessures subies sur les terrains de jeu en 2014-2015 au Canada4. Les chutes ont été la principale cause des hospitalisations d’enfants en raison de blessures (44 % des admissions), et 7 % de ces chutes se sont produites sur des terrains de jeu5. Une analyse des chutes survenues sur les terrains de jeu entre 1994 et 2003 estime à 2 500 par année le nombre d’enfants de moins de 14 ans hospitalisés pour des blessures graves5. De ce chiffre, 81 % avaient subi une fracture, 14 % un traumatisme crânien, et 5 % d’autres types de blessures, dont les dislocations et les plaies ouvertes6. Par comparaison, au cours d’une période de trois ans (2007-2010), 56 691 Canadiens de moins de 19 ans ont été vus aux urgences en raison de blessures sportives7. De tous les sports inclus dans l’analyse (soccer, cyclisme, hockey, football, basketball, planche à neige, baseball, volleyball, rugby, crosse, ringuette et traîneau), le soccer était à l’origine du plus grand nombre de blessures (11 941, dont 30 % étaient des fractures), et le hockey sur glace, du plus grand nombre de commotions (1 023)7. Ces chiffres bruts présentent des limitations majeures : ils comparent le nombre d’enfants blessés sur les terrains de jeu à ceux qui sont inscrits à des sports organisés (le dénominateur), et il manque des données sur l’exposition (les facteurs environnementaux ou les causes possibles en lien avec le résultat d’intérêt [les blessures]).
Les chiffres américains – Une comparaison
Aux États-Unis, on estime à 238 121 le nombre de blessures survenues sur l’équipement de terrains de jeu en 20148. Sur une période de 10 ans (1996-2005), 2 136 800 blessures de ce type chez les enfants de moins de 18 ans ont nécessité des visites aux urgences, soit en moyenne 213 700 par année9. Dans l’enquête menée en 2009, on rapporte un taux de 266 blessures pour 100 000 enfants sans changement significatif dans les blessures sur les 10 ans de l’étude8. Les chutes subies sur l’équipement de terrains de jeu étaient la principale cause de blessures; elles ont représenté les trois quarts des incidents8. Les fractures étaient les blessures les plus courantes sur les terrains de jeu (35 %), suivies des contusions ou abrasions (20 %) et des lacérations (20 %). Environ 45 % des blessures ont été subies aux membres supérieurs, et 15 % à la tête8.
Hauteurs et surfaces
Les études démontrent qu’une chute de plus de 1,5 à 2 mètres de hauteur augmente la probabilité de subir une blessure. Selon une étude des terrains de jeu de Montréal, les blessures étaient plus de deux fois plus susceptibles de se produire sur l’équipement de plus de 2 mètres de hauteur10. Selon une autre étude canadienne qui comparait l’incidence des blessures graves (principalement les fractures) et des blessures superficielles (les lacérations), les chutes de plus de 1,5 mètre entraînaient deux fois plus de blessures graves que de blessures superficielles11; une autre étude fait état d’une corrélation entre la hauteur des chutes et le nombre de fractures12. Toutefois, selon une étude menée auprès d’une population asiatique, les enfants dont l’indice de masse corporelle :(IMC) était inférieur à 19,8 kg/m2 étaient plus de deux fois moins susceptibles de subir une fracture grave (exigeant une réduction ou un traitement opératoire) en faisant une chute de hauteur sur un terrain de jeu13. Les autres caractéristiques des terrains de jeu, dont la hauteur de l’équipement, n’étaient pas associées à la gravité des blessures.
Les études sur les chutes à la surface des terrains de jeu montrent que certaines surfaces peuvent réduire le risque de blessures. Une étude a montré que la probabilité de se blesser en faisant une chute sur une surface n’absorbant pas les impacts était 2,28 fois supérieure à celle de se blesser en faisant une chute sur une surface absorbante12. Selon l’étude, le risque pour les enfants de se blesser était moitié moins important sur une surface en caoutchouc que sur une surface en écorce, et cinq fois moins important que sur une surface en béton. Cette étude comporte toutefois une limitation, à savoir le très petit nombre de cas (moins de 5) sur chaque type de surface, à l’exception de celles en écorce. Ces constatations sont infirmées par une étude utilisant une simulation informatique du flux d’énergie dans le poignet lors de l’impact des mains sur diverses surfaces de terrains de jeu. L’énergie retournant dans le corps au rebond et durant l’impact peut prédire les blessures occasionnées et le risque de fracture. À une hauteur de 1,5 mètre, le poignet absorbait une plus grande partie de l’énergie de la chute durant l’impact et le rebond sur une surface en caoutchouc que sur une surface en écorce14. D’autres preuves empiriques ont montré que les chutes sur les surfaces de terrains de jeu en fibres de bois étaient beaucoup plus susceptibles d’entraîner des fractures du bras que les chutes sur des surfaces en sable15. Aucun traumatisme crânien grave n’a été observé dans cette étude, qui incluait 37 écoles primaires et plus de 15 000 élèves de Toronto. Enfin, une étude a constaté que le risque de blessure grave était plus du double sur les terrains de jeu dotés de surfaces non recommandées10.
La majorité des blessures vues aux services d’urgence sont des fractures et des dislocations subies en tombant d’échelles, de barres de suspension et de glissoires. Les surfaces de terrains de jeu molles, comme le sable, le gravillon, les copeaux de bois ou d’écorce et le caoutchouc, peuvent réduire le risque de se blesser en tombant12, mais certains soutiennent que vu la rareté des blessures graves subies sur les terrains de jeu16, l’emploi de ces surfaces peut ne pas être efficace par rapport au coût17.
Prévalence des traumatismes crâniens
Aux États-Unis, les salles d’urgence :(SU) traitent chaque année en moyenne 21 000 traumatismes crâniens subis sur les terrains de jeu par les enfants de 14 ans et moins18. Dans le même rapport, on indique que les SU ont traité 29 000 enfants pour des traumatismes crâniens graves en 2013, contre 18 000 seulement en 2001. Cette hausse, amorcée en 2009, semble en contradiction avec l’idée que les terrains de jeu deviennent plus sûrs depuis l’application des lignes directrices de la US Consumer Product Safety Commission :(CPSC) sur l’usage de surfaces plus molles et la limitation de la hauteur des structures de jeu19. Elle pourrait être attribuable au plus grand niveau de détail des données sur les congés des services d’urgence et à l’attention accrue accordée aux traumatismes crâniens20. La très grande majorité de ces blessures étaient cependant mineures : à peine 2,6 % des enfants ayant visité les SU ont été hospitalisés, soit 0,9 enfant pour 100 000 par année21. Pour une école de 500 élèves, c’est l’équivalent d’une visite aux urgences tous les cinq ou six ans à la suite d’un traumatisme cranio-cérébral :(TCC) subi sur un terrain de jeu20.
Les données canadiennes sont limitées, mais en 2014-2015, l’Ontario et l’Alberta ont fait état de 9 660 visites d’enfants de moins de 18 ans aux services d’urgence pour des lésions cérébrales liées aux sports, dont 4 446 dans le groupe des 10 à 14 ans.4 Les lésions cérébrales subies sur les terrains de jeu sont comprises dans ces chiffres. Au cours des cinq dernières années, le nombre de visites aux urgences liées aux sports, notamment celles dues aux lésions cérébrales, a augmenté de 78 % dans le groupe des 0 à 9 ans et de 45 % chez les 10 à 14 ans. En 2014-2015, il y a eu 500 visites aux urgences pour des lésions cérébrales subies sur les terrains de jeu par les enfants de moins de 18 ans, contre 269 en 2010-2011. La majorité de ces blessures surviennent dans le groupe des 0 à 9 ans. Dans l’ensemble, 77 hospitalisations dues à des lésions cérébrales subies sur les terrains de jeu ont été enregistrées en 2014-2015, dont 60 chez les enfants de 0 à 9 ans. Soulignons toutefois que l’on peut difficilement en tirer d’autres conclusions, les données sur l’exposition étant inconnues.
Décès
Les décès sur les terrains de jeu sont extrêmement rares et sont habituellement causés par la strangulation lorsqu’un vêtement se coince ou que la tête est piégée dans l’équipement de jeu6. Au Royaume-Uni, on recense de 500 à 600 accidents mortels par année; entre 1981 et 1999 cependant, il n’y a eu que cinq ou six décès imputés à l’équipement de terrains de jeu, ce qui équivaut à un décès tous les trois ou quatre ans22. À titre de comparaison, selon les données des États-Unis, environ 17 décès par année sont imputables à l’équipement de terrains de jeu, et 67 % de ces décès surviennent sur des aires de jeu résidentielles23. Ce taux ne représente qu’une fraction du bilan annuel des décès d’enfants de moins de 14 ans de causes accidentelles, qui se situerait entre 8 000 et 10 00024.
Lignes directrices sur l’équipement de terrains de jeu
Les initiatives de prévention des blessures sur les terrains de jeu qui visent à rendre ces terrains aussi sûrs que possible ont commencé dans les années 1970. Depuis, des normes de sécurité ont été instaurées en Grande-Bretagne, en Europe, en Australie et aux États-Unis. Ces normes couvrent l’utilisation de surfaces absorbant les impacts, les modifications de l’équipement, l’évitement du piégeage, les limites de hauteur, les garde-corps et les modifications des matériaux employés dans la construction de l’équipement25. Les litiges étant souvent attisés par des interprétations littérales de ces lignes directrices, leur respect rigoureux peut réduire l’incertitude quant aux responsabilités, mais cela se fait au mépris du besoin des enfants de pouvoir jouer librement et de façon autonome12. Une telle perspective peut sembler contraire aux initiatives actuelles qui visent à rendre les terrains de jeu intéressants et stimulants, et qui favorisent donc le jeu extérieur.
C’est en 1990 que l’Association canadienne de normalisation (CSA) a élaboré ses premières lignes directrices pour les terrains de jeu publics; elles comportaient des recommandations sur la conception, l’installation et l’entretien de l’équipement des terrains26. Les surfaces absorbant les impacts, comme le sable, le gravillon, les copeaux de bois ou d’écorce et le caoutchouc, étaient recommandées, mais il n’y avait pas de recommandations sur la profondeur des matériaux. Il n’y avait pas non plus de limites de hauteur de chutes recommandées pour l’équipement. Ces lacunes ont été comblées dans l’édition 2007 des lignes directrices, mais celles-ci ne s’appliquent pas à l’équipement installé avant leur publication27. Selon une étude d’intervention à grande échelle menée sur les terrains de jeu de Toronto, la suppression des aléas et le retrait de l’équipement peu sûr pour se conformer aux normes de la CSA a effectivement réduit le nombre de blessures sur les terrains de jeu28. L’étude en question fait toutefois état de chevauchements dans les intervalles de confiance, ce qui indique que les changements dans les taux de blessures ne sont pas significatifs.
Résumé
Malgré la constance des efforts déployés pour rendre les terrains de jeu plus sûrs, les données de surveillance n’affichent aucune tendance significative dans les blessures au fil du temps29. Des indices concordants montrent que les chutes de hauteur augmentent le risque de blessures, et qu’une hauteur maximale de 1,5 mètre serait optimale pour réduire les blessures22. Quelques études indiquent que les surfaces absorbant les impacts, comme le sable, le gravillon et le caoutchouc, réduisent globalement le risque de blessures comparativement au béton ou au gazon. Il y a cependant un manque d’études sur les effets du froid et des intempéries sur les surfaces des terrains de jeu. Les données ne sont pas concluantes, et leur potentiel de prévenir les blessures graves pourrait être limité. Les facteurs de risque liés aux accidents sur les terrains de jeu sont la hauteur, les surfaces, les comportements des enfants et l’orientation de leur corps en tombant, ce qui a souvent peu à voir avec l’équipement fixe22.
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Date de modification : 28 janvier 2019