Les changements climatiques et la santé humaine
Les changements climatiques ont été qualifiés de « plus grave menace à la santé du monde au 21e siècle1 », et il est reconnu que leurs effets « se font déjà sentir, et selon les extrapolations futures, présentent un risque intolérablement élevé et potentiellement catastrophique pour la santé humaine2 ». L’énormité de la tâche a été cataloguée dans un récent rapport du gouvernement canadien3. Parmi les effets des changements climatiques, signalons : les changements globaux de la température, l’augmentation du nombre d’événements météorologiques exceptionnels, les changements dans les schémas classiques des vecteurs de maladies, la fonte des glaciers, la hausse du niveau des océans et les changements dans la production alimentaire végétale, avec leurs répercussions sur la santé humaine. Notre riposte aux changements climatiques peut aussi être « l’occasion du siècle » pour la santé4, car de nombreuses politiques nécessaires à la lutte contre les changements climatiques pourraient présenter des avantages sur le plan de la santé, réduire les coûts des soins de santé et améliorer la cohésion sociale et l’équité dans nos milieux de vie.
Avec 193 autres pays, le Canada est signataire de l’Accord de Paris5, qui propose une réponse mondiale à la menace des changements climatiques en exigeant que chaque signataire établisse des objectifs de réduction des émissions de carbone, prenne des mesures pour contenir l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels, et poursuive l’action menée pour limiter l’élévation de la température à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels. Le monde est actuellement plus chaud d’environ 1 °C qu’il ne l’était en 1880; environ les deux tiers de cette hausse se sont produits depuis le milieu des années 19506.
Au Canada, la température annuelle moyenne sur le continent a augmenté de 1,7 °C, et les températures dans le Nord du Canada ont augmenté de 2,3 °C entre 1948 et 20167. Le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux et territoriaux se sont engagés à apporter des changements8,9, mais le travail est loin d’être terminé. Selon le vérificateur général du Canada, les émissions de gaz à effet de serre en 2020 dépasseront de 111 Mt (mégatonnes) l’objectif canadien de 620 Mt pour 202010.
Toutes les régions du pays seront touchées, mais les changements seront les plus apparents dans le Grand Nord. Le taux de réchauffement dans l’Arctique est le triple du taux mondial, ce qui en fait l’une des régions du monde les plus vulnérables aux changements climatiques11. Dans le Grand Nord, la plupart des infrastructures sont construites sur le pergélisol : les routes, les bâtiments, les ponts, les sites d’enfouissement, les étangs d’épuration et les bassins de résidus miniers. Les réseaux de routes de glace, construites sur les mers, les lacs et les rivières gelés, facilitent la livraison d’aliments et de fournitures médicales et les activités traditionnelles de chasse, de pêche et de rassemblement des peuples autochtones. Comme il y a peu de routes permanentes, les océans et les terres gelés constituent des voies de communication vers les territoires de chasse. La fonte rapide du pergélisol et des routes de glace a des conséquences graves pour la santé et la sécurité des populations nordiques. En modifiant les modes de vie traditionnels, ces changements causeront d’autres perturbations physiques, sociales et économiques. De plus, les animaux à la base du régime alimentaire des Inuits (le phoque, le caribou, l’omble chevalier, le béluga et le narval) sont vulnérables aux conditions liées aux changements climatiques, à la présence ou à l’absence de neige ou de glace, et à un régime de précipitations qui détermine la date et l’abondance des migrations et la santé des animaux migratoires12.
L’Association canadienne de santé publique (ACSP) est d’accord avec le consensus scientifique qui veut qu’en l’absence d’une atténuation rapide des émissions de gaz à effet de serre (GES), les effets sur la santé publique ne feront que s’intensifier13.
RECOMMENDATIONS
L’ACSP invite le gouvernement fédéral à travailler avec les provinces, les territoires, les communautés, les peuples autochtones et les secteurs d’activité pour agir dans les domaines suivants :
lOIS
- Élaborer et mettre en œuvre une Loi pancanadienne sur les changements climatiques pour renforcer, appuyer, intégrer et faire respecter les cadres et les engagements nationaux et fédéraux existants, et mieux coordonner les plans provinciaux-territoriaux, municipaux et sectoriels.
- Renforcer le régime actuel de tarification du carbone pour continuer de réduire la consommation de carbone;
- Affecter les recettes de la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre au développement et à l’utilisation des sources d’énergie renouvelables.
Réglementation et programmes
- Renouveler, créer et mettre en œuvre des plans d’action pour le climat efficaces qui expliquent comment le Canada réalisera les réductions d’émissions nécessaires pour apporter sa juste contribution* au maintien du réchauffement planétaire en deçà de 1,5 °C conformément aux engagements pris dans l’Accord de Paris et le Cadre pancanadien :
- En étudiant, en établissant et en faisant respecter les cibles de réduction d’émissions rigoureusement scientifiques pour 2030, 2050 et 2080 conformes aux engagements du Canada;
- En élaborant et en mettant en œuvre des démarches de surveillance des émissions et des mécanismes transparents de communication d’informations sur les émissions pour mesurer les progrès accomplis par rapport aux cibles de réduction;
- En intégrant à la politique sur le climat une démarche de « santé dans toutes les politiques », en définissant les avantages conjoints pour la santé associés aux options stratégiques relatives aux changements climatiques, et en intégrant des évaluations de l’impact sur l’équité en matière de santé dans les décisions stratégiques en cours;
- En élaborant et en mettant en œuvre des programmes à l’appui d’une transition équitable pour les agriculteurs, les travailleurs du secteur des hydrocarbures, ainsi que leurs familles et les communautés touchées par les efforts d’atténuation des changements climatiques et d’adaptation à ces changements.
Émissions de gaz à effet de serre
-
Réduire les émissions du secteur des hydrocarbures en éliminant progressivement les subventions aux combustibles fossiles, en réglementant les émissions de méthane, en éliminant progressivement l’exploitation du carbone et en prenant d’autres mesures au besoin;
-
Éliminer progressivement les centrales thermiques au charbon au Canada d’ici 2030, en remplaçant cette source d’électricité par une consommation d’énergie plus efficiente et par une utilisation accrue des sources d’électricité qui viennent de formes de production ne provenant pas du carbone;
-
Réduire les émissions de gaz à effet de serre et favoriser les innovations écologiquement durables dans le secteur agricole;
-
Mettre en œuvre une politique alimentaire nationale, fondée sur l’édition 2019 du Guide alimentaire, comportant des mesures pour réduire la consommation de protéines animales et promouvoir un régime riche en protéines végétales (mais en respectant l’alimentation traditionnelle des peuples autochtones).
Santé de la population canadienne
-
Mener des évaluations des incidences locales et régionales des changements climatiques, élaborer des plans d’adaptation, entreprendre la planification et donner de la formation sur les interventions d’urgence, préparer des évaluations de l’impact sur l’équité en matière de santé, élaborer et mettre en œuvre des pratiques durables, et favoriser l’échange d’informations sur les pratiques exemplaires entre les provinces, les territoires, les municipalités et les peuples autochtones;
-
Normaliser et améliorer la surveillance pancanadienne et la communication d’informations sur les effets sur la santé liés au climat, dans une optique d’équité en santé;
-
Élaborer et mettre en œuvre des plans de communication et des outils pédagogiques axés sur la nécessité d’apporter des changements pour maintenir la qualité de vie au Canada;
-
Soutenir la recherche sur les effets physiques et mentaux des changements climatiques sur la santé et sur les possibilités d’adaptations physiques et psychosociales.
L’ACSP invite aussi les professionnels et les organismes de la santé publique à :
- Déterminer les effets et les répercussions ultérieures des changements climatiques sur la santé, notamment sur la santé des peuples autochtones, et communiquer ces informations;
- Entreprendre de la recherche sur les répercussions des changements climatiques sur la santé physique et mentale et l’équité en santé et sur les avantages conjoints pour la santé des activités d’adaptation;
- Appuyer la vision d’un avenir durable, juste et sain et la transition vers cet avenir;
- Communiquer efficacement aux acteurs clés l’importance de cette question, les conséquences pour la santé de la trajectoire actuelle et les avantages conjoints pour la santé de la transition nécessaire.
CONTEXTE
Les changements climatiques sont définis comme étant une modification à long terme des conditions météorologiques. Divers indicateurs en témoignent, notamment sous la forme de modification de la température, des précipitations et des vents. Les changements climatiques peuvent comprendre à la fois une modification des conditions météorologiques moyennes et une modification de la variabilité, par exemple des phénomènes extrêmes14. Ils peuvent se produire naturellement, mais depuis le début de la révolution industrielle (1760 à 1820–1840 environ), c’est l’activité humaine qui exerce la plus grande influence. Les deux causes principales sont la combustion de combustibles fossiles et la déforestation. Ces deux activités libèrent du dioxyde de carbone dans l’environnement, ce qui cause un effet de serre qui fait augmenter les températures.
Perspective internationale
Les effets des changements climatiques sur la santé sont dévastateurs à l’échelle mondiale. Dans l’édition 2018 du compte à rebours de la revue The Lancet sur la santé et les changements climatiques15, il est indiqué que 712 phénomènes météorologiques exceptionnels se sont produits dans le monde en 2017, causant 326 milliards de dollars (US) de pertes économiques; cela représente une hausse de près du triple des pertes économiques encourues en 2015. On rapporte que 157 millions de personnes de plus ont été exposées à des vagues de chaleur en 2017 qu’en 2000, et que 3,4 milliards de semaines de travail ont été perdues à cause de la chaleur extrême dans le monde. On note une hausse des maladies transmises par l’eau et les insectes dans certaines régions du monde et une baisse du potentiel de rendement agricole dans les 30 pays pour lesquels des données étaient disponibles15. Selon le rapport, la dénutrition sera le plus grand effet des changements climatiques sur la santé au 21e siècle16.
Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC)17, les changements climatiques auront les effets suivants sur la santé :
- Les hausses des températures atmosphériques devraient faire augmenter la morbidité et la mortalité dues aux maladies liées à la chaleur comme les coups de chaleur, l’œdème de chaleur, l’érythème calorique, le stress de chaleur, les pathologies cardiovasculaires aiguës et les maladies rénales;
- La baisse de la qualité de l’air causée par les GES fera probablement augmenter la morbidité et la mortalité dues à l’asthme, aux cardiopathies ischémiques, aux accidents vasculaires cérébraux, aux infections aiguës des voies respiratoires inférieures, au cancer du poumon et à la maladie pulmonaire obstructive chronique;
- La prévalence des maladies à transmission vectorielle est en hausse, et ces maladies continueront probablement de s’étendre à mesure que le réchauffement des températures élargit l’espace géographique des insectes et d’autres espèces;
- Les phénomènes météorologiques exceptionnels comme les inondations, les sécheresses, les cyclones, les ouragans et les feux incontrôlés devraient augmenter en fréquence et en intensité. Les changements des conditions météorologiques et les phénomènes météorologiques exceptionnels menacent la sécurité alimentaire, le logement et les infrastructures et font perdre des revenus aux personnes touchées. Il est estimé que l’instabilité du climat fera diminuer les rendements des récoltes, la chasse et la cueillette par les peuples autochtones, et la production halieutique.
Le même rapport peint un portrait sombre de l’avenir de la planète avec un réchauffement de 2 °C. Il conclut qu’un réchauffement de 1,5 °C amplifiera bon nombre des effets sur la santé liés au climat que nous connaissons déjà avec un réchauffement de 1 °C, mais que les effets d’un réchauffement de 2 °C seront beaucoup plus importants. Un objectif de 1,5 °C, par exemple, protégerait plusieurs centaines de millions de personnes de plus contre la pauvreté liée au climat d’ici 2050 qu’un objectif de 2 °C. L’Organisation mondiale de la santé est d’accord; elle estime que les résultats sanitaires de la dénutrition, des migrations liées au climat et des maladies infectieuses liées au climat seront considérablement moindres avec un réchauffement de 1,5 °C qu’avec un réchauffement de 2 °C . Ces comptes rendus sont corroborés par le rapport d’Environnement Canada aux Nations Unies11 et le compte à rebours du Lancet15.
La situation canadienne
Les températures moyennes au Canada augmentent plus rapidement que dans le reste du monde7, ce qui se traduit par 12 « domaines de risques » associés aux changements climatiques. Les six principaux domaines de risques et leurs descriptions sont résumés dans le tableau 1; les six autres sont l’agriculture et l’alimentation; la foresterie; la dynamique géopolitique; la gouvernance et la capacité; les modes de vie autochtones; et l’eau19.
Tableau 1 : Six principaux domaines de risques des changements climatiques au Canada selon le Conseil des académies canadiennes dans Les principaux risques des changements climatiques pour le Canada19
Domaine de risques | Description |
Infrastructures physiques | Dommages aux maisons, aux bâtiments et aux infrastructures essentielles à cause des fortes précipitations, des forts vents et des inondations; plus grande probabilité de pannes de courant et de défaillances de réseaux électriques; et risque accru de défaillances en cascade des infrastructures. |
Communautés côtières | Dommages aux infrastructures côtières, aux biens et aux gens à cause des inondations, de l’intrusion d’eau salée et de l’érosion du littoral due à la hausse du niveau de la mer et aux ondes de tempête. |
Communautés nordiques | Dommages aux bâtiments, aux routes, aux canalisations, aux lignes électriques et aux bandes d’atterrissage à cause du dégel du pergélisol; réduction ou perturbation de l’accès aux communautés et aux installations en raison de la hausse des températures; et risques accrus d’accidents maritimes causés par l’intensification du trafic et par la réduction de l’étendue de la glace de mer en été. |
Santé et bien-être humains | Effets néfastes sur la santé physique et mentale des dangers tels que les événements météorologiques extrêmes, les vagues de chaleur, la dégradation de la qualité de l’air ambiant et l’augmentation de l’éventail de pathogènes à transmission vectorielle. |
Écosystèmes | Menaces à la biodiversité, à la résilience écosystémique et à l’aptitude des écosystèmes à fournir de multiples bienfaits aux gens, comme la régulation environnementale, la fourniture de ressources naturelles, l’habitat et l’accès à des activités et ressources culturellement importantes. |
Pêcheries | Déclin des populations de poissons et pêcheries moins productives et résilientes à cause de la modification des conditions de l’eau de mer et de l’eau douce, de l’acidification des océans et de l’action des espèces envahissantes et des ravageurs. |
Au cours des 20 dernières années, le Canada a connu une hausse spectaculaire des coûts des phénomènes météorologiques exceptionnels comme les températures extrêmes, les inondations et les incendies de forêts. Le Bureau d’assurance du Canada signale que le montant des demandes d’indemnisation pour cause de catastrophes naturelles comme les inondations et les incendies de forêts sont passées de 400 millions de dollars par année il y a 10 ans à environ 1 milliard par année aujourd’hui, et que le financement public des dommages causés par les inondations et autres catastrophes a présenté une hausse soutenue, passant d’environ 100 millions de dollars par année il y a 20 ans à 2 milliards par année en 2013-201420. Les pertes résultant des changements climatiques entre 2007 et 2017 se sont chiffrées en moyenne à 1,7 milliard de dollars par année18.
Les changements climatiques portent atteinte à la santé physique et mentale de la population canadienne. Les effets cardiorespiratoires de l’aggravation de la pollution atmosphérique due aux incendies de forêts ont rendu de nombreux Canadiens et Canadiennes malades au cours des étés récents21,22. Les évacuations d’urgence et les déplacements de populations menacées par les incendies de forêts et les inondations ont été associés à des traumatismes et des états de stress post-traumatique23,24. Dans l’Arctique canadien, où les températures ont augmenté de 2,3 °C depuis 194825, les risques pour la santé associés à l’insécurité alimentaire sont en hausse en raison de l’accès resserré aux sources de nourriture traditionnelles26. Entre-temps, la maladie de Lyme gagne de nouvelles régions du Canada27, et les saisons polliniques prolongées et plus intenses pourraient exacerber le rhume des foins et l’asthme28.
Les changements climatiques sont devenus une réalité pour bien des Canadiennes et des Canadiens durant l’été 2018. En Ontario, les températures ont dépassé 30 °C pendant 21 jours29, une hausse significative par rapport aux 13,5 jours par année en moyenne enregistrés sur une période de 30 ans jusqu’en 200530; au Québec, la seule province qui surveille les décès liés à la chaleur en temps réel, la chaleur extrême a fait plus de 90 victimes31. La Colombie-Britannique, aux prises avec près de 600 incendies de forêts, a déclaré un état d’urgence provincial32, tandis que l’Ontario a vu le nombre d’incendies de forêts augmenter de près du double, passant d’une moyenne annuelle sur 10 ans de 716 à 1 31233. En outre, des millions de personnes au Canada ont été exposées à des niveaux de pollution atmosphérique « à risque élevé » et « à risque très élevé » pendant plusieurs jours ou plusieurs semaines en raison de la fumée des incendies de forêts34. Des articles sur l’émergence de l’écoanxiété, de la tristesse écologique et de la solastalgie au Canada paraissent régulièrement dans la presse généraliste24,35.
Effets prévus des changements climatiques
Les changements de la température et des précipitations résultant des changements climatiques sont attestés7, tout comme les risques au Canada18, mais il existe moins d’informations sur les effets prévus des changements climatiques à l’échelle régionale. Cependant, les effets prévus des changements climatiques aux États-Unis ont été analysés au niveau régional36 et peuvent être extrapolés aux régions canadiennes correspondantes :
- Le Québec et les provinces maritimes (qui correspondent au Nord-Est des États-Unis) devraient connaître des augmentations des vagues de chaleur, des précipitations, de l’érosion côtière, des inondations et des ondes de tempête;
- L’Ontario (qui correspond au Midwest) peut s’attendre à un nombre accru de vagues de chaleur, à des changements dans la composition de ses forêts, à des changements des écosystèmes aquatiques des Grands Lacs et à des modifications des rendements agricoles en raison de la hausse des températures et des niveaux de CO2;
- Les provinces des Prairies (qui correspondent aux États des Plaines) devraient connaître une hausse de la demande d’eau et d’énergie et une modification des pratiques et des besoins agricoles;
- La Colombie-Britannique (qui correspond à la région du Nord-Ouest) connaîtra des changements dans ses réserves d’eau douce en raison de la fonte des neiges hâtive, à l’origine des sécheresses estivales. L’érosion côtière et l’élévation du niveau de la mer pourraient causer des problèmes d’infrastructures et des déplacements de populations. La fréquence accrue des incendies de forêts, les infestations d’insectes et les maladies feront augmenter le taux de dépérissement des forêts, réduisant ainsi l’absorption du carbone;
- Le Nord canadien (qui correspond à l’Alaska) connaîtra un recul rapide des glaces de mer en été et une fonte du pergélisol, ce qui pourrait endommager des infrastructures. La régression des glaciers causera des changements dans la production d’hydroélectricité, les pêcheries, les niveaux de la mer et les régimes de circulation océanique, ce qui aura des répercussions sur les peuples autochtones et les communautés rurales.
Ces effets ne seront toutefois pas égaux pour toutes les personnes et dans toutes les communautés. Les membres les plus marginalisés de nos milieux seront démesurément touchés, en particulier les peuples autochtones, les jeunes et les populations socialement et économiquement défavorisées37,38. Sont à l’origine de ces effets inégaux : la répartition géographique inégale des risques pour la santé; l’exclusion de la prise des décisions sanitaires et environnementales; et l’accès inégal à la santé et aux soins de santé. Les changements climatiques auront aussi des effets directs et indirects sur la population générale en raison de leur influence sur les structures de soutien social existantes, la sécurité économique, la sécurité alimentaire et le logement, mais les mesures prises pour aborder les changements climatiques pourraient présenter des avantages conjoints pour la santé des populations39.
Au Canada par exemple, l’exposition chronique à la pollution atmosphérique par les particules fines résultant de la combustion des combustibles fossiles cause 7 100 décès prématurés et 53,5 milliards de dollars de coûts de santé par année40; les solutions climatiques axées sur les véhicules à moteur, les centrales à charbon, le chauffage des habitations et d’autres bâtiments et le forage pétrolier et gazier sauveraient donc des vies, feraient baisser les taux de cardiopathies, d’asthme et de cancer du poumon et les coûts des soins de santé, tout en réduisant les émissions nocives pour le climat.
De même, les maladies chroniques coûtent au Canada environ 200 milliards de dollars par année en traitements et en temps perdu41. En faisant augmenter les niveaux d’activité physique par des investissements dans les transports collectifs, le cyclisme et la marche42 et en créant des circuits alimentaires favorables aux régimes riches en protéines végétales43, il serait possible de sauver des vies, de réduire les taux de cardiopathies, de diabète et de cancer, ainsi que les coûts des soins de santé, tout en réduisant les émissions nocives pour le climat.
À l’horizon
L’incidence des changements climatiques sur le Canada est de mieux en mieux attestée et continuera d’évoluer à mesure que les individus et les collectivités continuent de libérer des émissions de carbone supérieures aux niveaux cibles. Selon la trajectoire actuelle des émissions, la planète se sera réchauffée de 2,6 à 4,8 °C d’ici 210044. L’édition 2018 du compte à rebours du Lancet conclut que les tendances des répercussions, des niveaux d’exposition et de la vulnérabilité aux changements climatiques font état d’un niveau de risques inacceptable pour la santé actuelle et future des populations du monde entier, et que les vies humaines et les systèmes de santé dont dépendent les gens seront à risque si nous ne prenons pas des mesures pour réduire considérablement les émissions nocives pour le climat et pour accroître notre résilience face aux changements climatiques désormais inévitables16. Il est essentiel que chaque personne travaille à réduire son empreinte carbone individuelle.
Pour empêcher le réchauffement planétaire d’atteindre 2 °C, le GIEC conclut que nous devrons collectivement réduire les émissions causant les changements climatiques de 45 % d’ici 2030 et à zéro d’ici 205018. Pour apporter sa juste contribution, le Canada devra doubler son engagement existant et réduire les émissions nocives pour le climat d’au moins 60 % en deçà des niveaux de 2005 d’ici 203045. Les parlementaires actuels et futurs seront responsables de fixer cet objectif et d’établir les politiques et les programmes nécessaires pour l’atteindre.
Des politiques d’adaptation, par contre, peuvent contribuer à réduire les effets sur la santé associés à certains éléments des changements climatiques. Les interventions qui montrent des signes d’efficacité ont été examinées ailleurs18. Du point de vue de la santé et du bien-être humains, des interventions génériques pourraient faire diminuer les disparités socioéconomiques et améliorer la protection des populations vulnérables et le soutien à ces populations. De même, les effets liés à la chaleur pourraient être atténués en diffusant des avis en temps utile, en élargissant l’accès à la climatisation et aux espaces verts, et par la création et l’entretien de réseaux électriques résilients. Les effets néfastes sur la santé physique et mentale pourraient être réduits par une planification préalable complète en cas de catastrophes, associant aux opérations de rétablissement des programmes de santé physique et mentale à long terme financièrement durables. Les menaces de maladies zoonotiques infectieuses émergentes peuvent être atténuées en partie par des avis à la population, par la formation et par des initiatives de proximité. Ces activités devront s’accompagner de mesures de contrôle et de surveillance et de capacités épidémiologiques suffisantes, et les stratégies d’adaptation devront être étudiées plus avant.
Le Royaume-Uni a réduit de 41 % ses émissions nocives pour le climat entre 1990 et 2016 grâce à une loi, la Climate Change Act, qui a donné lieu à des objectifs à long terme officiels et à des politiques assujetties à l’évaluation continue par un organe scientifique indépendant46-48. Au Canada durant la même période, les émissions sont passées de 603 à 704 Mt49. Un plan fondé sur des objectifs, soutenu par l’action des pouvoirs publics et bénéficiant d’un large soutien pourrait constituer une intervention semblable au Canada.
Le temps nous manque. D’ici à ce que les tout-petits d’aujourd’hui entrent à l’école secondaire, notre fenêtre pour intervenir efficacement se sera fermée. Nous sommes la dernière génération à pouvoir apporter les modifications nécessaires pour éviter des changements climatiques catastrophiques. Les changements climatiques doivent être traités comme l’urgence sanitaire qu’ils sont.
* La notion de juste contribution veut que les pays les plus riches prennent des mesures plus robustes que les pays en développement pour lutter contre les changements climatiques. Dans l’ensemble, les pays développés sont les plus grands consommateurs de ressources; ils devraient donc payer le prix le plus élevé pour le nettoyage.
REMERCIEMENTS
Le présent énoncé est l’adaptation d’un document préparé par Kim Perrotta, ancienne directrice générale et aujourd’hui directrice principale au Climat, à la Santé et aux Politiques de l’Association canadienne des médecins pour l’environnement (ACME), avec la collaboration de Dre Courtney Howard, présidente de l’ACME, et de représentants de l’Association médicale canadienne, de l’Association canadienne de santé publique (ACSP), de l’Association des infirmières et infirmiers du Canada et de l’Association d’infirmières et infirmiers pour l’environnement (autrefois les Infirmières et infirmiers pour la santé et l’environnement).
Le but de cet énoncé est de clarifier la position de l’ACSP sur les changements climatiques. Il vise à répertorier les questions qui sont du ressort des systèmes de santé publique canadiens. Reconnaissant aussi le besoin que les professionnels soient formés aux changements climatiques, l’Association soutient un groupe distinct dont l’objectif est de promulguer la formation aux changements climatiques pour les étudiants et les professionnels de la santé publique.
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