Racisme et santé publique
Le Canada est encore un pays où la couleur de la peau, la religion, la culture ou l’origine ethnique* sont des déterminants de la santé qui donnent lieu à des inégalités sur le plan de l’inclusion sociale, des résultats économiques, de la santé personnelle, de l’accès aux services sociaux et de santé et de la qualité des services reçus. Ces effets se manifestent particulièrement chez les personnes racialisées et les Autochtones, ainsi que chez les personnes au bas du gradient social et les personnes incarcérées (ces populations se composant aussi de façon disproportionnée de personnes racialisées et d’Autochtones). Pour compliquer les choses, certains systèmes gouvernementaux et non gouvernementaux érigent des barrières devant ces gens, ce qui limite leur capacité d’obtenir des services et des avantages facilement accessibles à la plupart des Canadiens et Canadiennes. Des mesures doivent être prises pour éliminer ces barrières systémiques.
L’Association canadienne de santé publique (ACSP) reconnaît que nous sommes tous et toutes racistes, que ce soit ouvertement ou inconsciemment, et que l’influence de ce racisme s’étend à la santé des particuliers et des populations. En tant qu’association, nous nous engageons à éradiquer les processus racistes qui peuvent exister en notre sein et nous préconisons l’éradication des systèmes, lois, règlements et politiques racistes et oppressifs dans les institutions publiques du Canada et dans la société en général.
Réponse collective de l’Association
L’ACSP reconnaît avoir été lente ou réticente à réagir au racisme systémique au long de son histoire. Elle admet aussi avoir joué un rôle dans le maintien de structures et d’attitudes sous-jacentes qui ont suscité des comportements racistes en son sein et au sein des structures sanitaires et gouvernementales qu’elle souhaite influencer. Sa lenteur à condamner le refus du gouvernement fédéral d’adopter le principe de Jordan en est un exemple.
Pour redresser la situation, l’ACSP s’engage à entreprendre une série de réformes :
- Elle examinera et modifiera ses systèmes et ses processus pour éliminer ceux qui pourraient mener à des comportements racistes à l’Association.
- Ses administrateurs et son personnel recevront de la formation contre le racisme et l’oppression pour favoriser un climat d’humilité et de sécurité culturelles.
- Elle définira et appliquera une méthode d’évaluation pour repérer et aborder la stigmatisation et la racialisation pouvant émerger de son travail.
Outre ces mesures, l’ACSP a créé un Comité consultatif des relations avec les Autochtones pour guider sa transformation organisationnelle afin d’inclure les Autochtones et leurs perspectives dans tous les aspects de son travail, en particulier la défense des droits des Autochtones en matière de santé publique. Elle a aussi reconstitué son Groupe de travail sur la diversité, qui observera et évaluera les efforts de l’Association sur une base régulière et continue.
RECOMMANDATIONS
L’ACSP appelle tous les organismes et agences qui font de la sensibilisation, de la recherche ou qui assurent la prestation de services sociaux et de santé au Canada à :
- Adopter une déclaration officielle condamnant le racisme;
- Entreprendre des examens généraux de leurs règlements, de leurs politiques, de leurs processus et de leurs pratiques pour repérer et supprimer tout système ou toute démarche raciste;
- Appliquer des méthodes d’évaluation pour repérer et supprimer les lois, règlements, procédures et pratiques racistes;
- Offrir à l’échelle du système une formation obligatoire et rigoureuse contre le racisme et l’oppression à leur personnel et à leurs bénévoles;
- Renforcer les systèmes de surveillance de la santé publique en recueillant et en analysant des données sur la race et l’ethnicité, en procédant dans les règles et en tenant compte de la délicatesse du sujet;
- Observer les stéréotypes, la discrimination et les mesures racistes au sein de leurs organisations et prendre des mesures correctives.
L’ACSP appelle tous les ordres de gouvernement et les organismes publics à :
- Entreprendre des examens généraux de leurs systèmes, de leurs règlements, de leurs politiques, de leurs processus et de leurs pratiques pour repérer et supprimer les démarches racistes;
- Prendre les mesures qui s’imposent pour mettre en œuvre les programmes et les changements généralisés nécessaires à l’application des 94 recommandations figuration dans les Appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation;
- Assurer une comptabilité et une surveillance continues des mesures prises en réponse à ces recommandations.
L’ACSP rendra compte des efforts louables que mène actuellement le gouvernement fédéral pour :
- Examiner et moderniser le Code criminel en fonction des normes d’équité et de justice les plus élevées1;
- Lancer des consultations pancanadiennes sur le racisme systémique2.
Contexte
En vertu de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, chaque Canadien et chaque Canadienne a « … droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale3 ». Ce droit sous-tend les concepts de la justice sociale, de l’équité en santé et des déterminants sociaux de la santé qui sont les fondements de la santé publique†.
Le racisme est une construction sociale ancrée dans nos institutions depuis des générations et dont la définition actuelle est la suivante4 :
- « Une idéologie fondée sur la croyance qu’il existe une hiérarchie entre les groupes humains, les “races”;
- Un comportement inspiré par cette idéologie;
- Une attitude d’hostilité systématique à l’égard d’une catégorie déterminée de personnes. »
Il est reproché aux définitions des dictionnaires de ne pas préciser que le racisme est une idéologie dont les origines modernes remontent aux scientifiques européens du 17e siècle durant la traite des esclaves dans l’océan Atlantique. À l’époque, le racisme était un moyen de différencier les Européens des personnes de couleur, en conférant aux premiers des privilèges et une supériorité sur les seconds5. Le racisme est maintenant fondé sur des systèmes qui établissent des distinctions entre les gens d’après la couleur de leur peau, leur religion, leur ethnicité et leur culture; qui les séparent clairement d’après ces caractéristiques; et qui limitent l’accès des populations racialisées aux biens et aux services nécessaires à la vie. Cette description est compliquée par l’intersectionnalité du racisme, à savoir que le chevauchement de plusieurs identités sociales (la race, le sexe, la sexualité et la classe sociale, par exemple) contribue au type particulier d’oppression et de discrimination systémiques que subit une personne6 et à la violence structurale résultant des politiques, des programmes et des systèmes qui définissent nos infrastructures sociales7.
Le corollaire du racisme est le privilège blanc‡, selon lequel les personnes à la peau blanche bénéficient d’avantages que n’ont pas les personnes d’une autre couleur de peau. Des efforts sont nécessaires pour repérer et supprimer les processus et les systèmes qui favorisent les mesures racistes et le privilège blanc et pour prendre des mesures, comme la formation continue à l’humilité culturelle, pour éclairer ces comportements, les corriger et empêcher qu’ils ne se répètent. Des efforts devraient être faits pour surveiller les comportements racistes dans les organismes et chez les gens et pour prendre des mesures correctives.
Le racisme est insidieux et touche tous les aspects de la vie. Il est corrélé à de moins bons résultats sanitaires chez les personnes qui en sont victimes; les constatations les plus solides et les plus systématiques (venant d’études états-uniennes) associent les conséquences des comportements racistes à des résultats négatifs en santé mentale et physique (hypertension artérielle, insuffisance de poids à la naissance, cardiopathie et diabète) et à de mauvaises habitudes de santé (usage de la cigarette, consommation d’alcool et consommation de substances)8. Selon un rapport publié en 2012 par l’Institut Wellesley, il est plus difficile de confirmer l’existence de tels liens au Canada, car les données des registres de soins n’indiquent pas systématiquement la race ou l’ethnicité9; des associations significatives ont néanmoins été établies entre la santé moyenne ou mauvaise autoévaluée et l’expérience du racisme. Les raisons citées à l’appui d’un tel effet sont :
- les privations économiques et sociales;
- les substances toxiques et les conditions dangereuses;
- les traumatismes d’origine sociale (mentaux, physiques et sexuels dont une personne été victime ou témoin, qui vont des menaces verbales aux actes violents);
- la mise en marché ciblée de produits pouvant être nocifs pour la santé;
- les soins médicaux inadéquats ou dégradés;
- la dégradation des écosystèmes, y compris l’aliénation systématique des terres et de l’économie traditionnelle des Autochtones.
Le racisme au Canada a plusieurs visages, car il transcende les frontières ethniques, culturelles, religieuses et sexuelles. Deux formes particulièrement flagrantes au pays sont le racisme anti-Noirs et le traitement des populations autochtones, car ces deux groupes sont démesurément représentés au bas du gradient social et dans nos populations carcérales. Le racisme anti-Noirs, omniprésent dans de nombreuses institutions canadiennes, est responsable de la perpétuation contemporaine de la pauvreté et du chômage, du profilage racial, de la violence policière, des incarcérations, de la rétention administrative des immigrants, des expulsions, des pratiques d’exploitation des travailleurs migrants, des placements disproportionnés d’enfants et des faibles taux de diplomation chez les Noirs10.
L’exemple le plus flagrant de lois, de règlements et de politiques racistes au Canada est cependant notre traitement des Autochtones; en raison du racisme, de la colonisation, du génocide et de la violence structurale, les Premières Nations, les Inuits et les Métis ont été séparés de leurs terres, de leur culture, de leur spiritualité, de leurs langues et de leurs systèmes économiques et gouvernementaux traditionnels, ce qui a mené à l’érosion de leurs structures familiales et sociales. En particulier, les pensionnats et externats indiens et métis ont entraîné, entre autres, une violence physique, psychologique, émotionnelle et sexuelle généralisée envers les enfants. Ces effets ont laissé de nombreux survivants non préparés à devenir parents, ce qui a mené à des relations familiales dysfonctionnelles, à des problèmes de toxicomanie et à la violence physique et sexuelle. De même, l’application de la Loi sur les Indiens et l’instauration du système des réserves ont exacerbé ces effets sur les peuples des Premières Nations. C’est là l’exemple d’une loi coloniale raciste qui existe encore aujourd’hui. On trouve une description de l’effet de ce racisme envers les Autochtones du Canada dans le rapport de la Commission de vérité et réconciliation11 et les Appels à l’action associés12.
De même, les problèmes systémiques des programmes de protection des enfants des Premières Nations du Canada ont entraîné le retrait d’enfants de leur domicile familial au lieu de l’application de mesures de prévention et d’intervention précoce. Dans un travestissement de ses responsabilités à l’égard des Premières Nations, le gouvernement fédéral associe son niveau de financement au nombre d’enfants en détention, transformant ainsi les enfants en « marchandises ». Les effets sont semblables pour les Métis et les Inuits13.
D’autres effets sont attestés, à savoir14 :
- le choix limité d’aliments sains;
- les conditions de vie inadéquates;
- les soins de santé de qualité inférieure.
La relation entre le racisme, les déterminants sociaux de la santé et les Autochtones du Canada est décrite dans une série de trois publications et dans un webinaire préparés par le Centre de collaboration nationale de la santé autochtone15,16,17,18, ainsi que dans une série de ressources organisées et préparées par le Centre de collaboration nationale des déterminants de la santé (CCNDS) et dans un blogue qui résume le travail continu de ce centre pour devenir un organisme antiraciste.
De même, l’ACSP a exprimé des préoccupations dans plusieurs domaines où le racisme systémique est courant, notamment par ses travaux sur la stigmatisation et les infections transmissibles sexuellement et par le sang, les femmes et les filles autochtones disparues ou assassinées, le travail du sexe et le principe de Jordan.
L’un des résultats du racisme est la stigmatisation, que le dictionnaire définit comme étant la « mise à l’écart d’une personne pour ses différences qui sont considérées comme contraires aux normes de la société19. » Cela ne saisit pas toute l’ampleur et la complexité des effets de la stigmatisation. Le Programme commun des Nations Unies sur le VIH/sida (ONUSIDA) la définit plus précisément comme étant « un processus dynamique de dévaluation qui discrédite significativement un individu aux yeux des autres. Lorsque la stigmatisation est suivie de faits, elle devient de la discrimination », laquelle consiste à « faire des choses ou à oublier de faire des choses dirigées à l’encontre des personnes qui sont stigmatisées20 ». Cette définition a aussi été catégorisée en plusieurs types de stigmatisation apparentés :
- La stigmatisation intériorisée : lorsqu’une personne accepte les croyances, les points de vue et les sentiments négatifs à son égard et à l’égard du groupe stigmatisé auquel elle appartient;
- La stigmatisation perçue : la conscience d’attitudes sociales négatives, la peur de la discrimination et les sentiments de honte;
- La stigmatisation effective : elle englobe les actes de discrimination manifestes, qui peuvent être ou non du ressort de la loi;
- La stigmatisation institutionnelle ou structurelle : elle découle de l’application de politiques ou de procédures stigmatisantes (violence structurale);
- La stigmatisation multidimensionnelle ou composée : lorsqu’une personne possède plus d’une identité stigmatisée (intersectionnalité).
Le Canada devrait être un pays où chaque personne a la possibilité d’avoir une santé optimale peu importe la couleur de sa peau, sa religion, sa culture ou son origine ethnique. Des mesures doivent être prises à tous les ordres de gouvernement et par tous les organismes et les citoyens pour mettre en évidence et éradiquer les comportements racistes. De telles mesures ne sont ni simples, ni faciles, mais elles sont essentielles pour que le Canada devienne le pays rassembleur dont sa Constitution fait le portrait. À cette fin, l’ACSP prendra les mesures décrites dans le présent document pour éradiquer le racisme en son sein et pour encourager l’éradication du racisme au Canada.
* L’Institut canadien d’information sur la santé dit travailler sur des définitions standard relativement aux groupes racialisés et à l’ethnicité afin d’éclairer la collecte de données et de faciliter la mesure des inégalités de santé.
† La Charte des droits et libertés est aussi appuyée par plusieurs pactes et conventions des Nations Unies qui offrent des assises légales et sociales sur lesquelles édifier une démarche de santé publique. Ce sont : le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, la Déclaration sur les droits des peuples autochtones et la Convention internationale pour la protection et la promotion des droits et de la dignité des personnes handicapées.
‡ On trouve d’autres descriptions du privilège blanc sur Internet (en anglais).
BIBLIOGRAPHIE
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