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Canadian Public Health Association

L’aide médicale à mourir

Stewart Spence

 « Si vous n’avez pas la liberté et l’autodétermination, vous n’avez rien… et de déterminer comment et quand vous allez mourir quand vous souffrez est l’autodétermination ultime » (People v. Kevorkian, 2001) [traduction libre]. Près de 15 ans après les mots notoirement célèbres du Dr Jack Kevorkian, l’aide médicale à mourir (AMM) demeure controversée dans la société canadienne. En 2013, des sondages ont montré que 32 % des Canadiens étaient « plutôt opposés » ou « très opposés » à l’AMM, et que seulement 29 % étaient « très en faveur » de l’AMM (Environics Research Group, 2013). En 2015 cependant, la Cour suprême du Canada s’est prononcée en faveur de l’AMM en disant : « La prohibition de l’aide médicale à mourir porte atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne d’une manière non conforme aux principes de justice fondamentale » (Carter c. Canada, 2015).

Les défenseurs de l’AMM invoquent plusieurs théories de nature éthique et pratique pour expliquer leur position. L’argument éthique fait essentiellement valoir que l’art. 7 de la Charte des droits et libertés, selon lequel « chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne », confère le droit de choisir l’AMM, surtout si l’on souffre d’une affection grave ou irrémédiable (Charte des droits et libertés, 1982). On rejette la philosophie du caractère absolument sacré de la vie, à savoir que la vie dans n’importe quelle condition est jugée supérieure à la mort. C’est plutôt l’autonomie du patient qui est jugée supérieure; la vie se poursuit aussi longtemps que le patient considère qu’elle vaut la peine d’être vécue (National Health Service, 2014). L’argument pratique veut qu’une interdiction absolue de l’AMM ne laisse que deux choix aux patients souffrant d’une affection irrémédiable : 1) se suicider prématurément par un moyen dangereux et manquant souvent de dignité ou 2) souffrir de leur maladie jusqu’à la mort. L’AMM est donc l’option la plus pratique et la plus raisonnable, si elle convient (Carter c. Canada, 2015). L’argument pratique s’étend aussi à la distinction entre : a) l’arrêt des traitements; b) la prise en charge de la douleur; c) la sédation terminale (p. ex., des grands brûlés proches de la mort); et d) l’aide à mourir. Quand il y a consentement éclairé, les interventions a), b) et c) sont justifiées pour prévenir la souffrance même si elles peuvent hâter la mort, et ces interventions ne sont certainement pas prohibées (Carter c. Canada, 2015). S’il n’existe pas de prohibition des options a), b) ou c), l’option d) ne devrait-elle pas être permissible, car justifiée par le même principe moral de miséricorde?

Les arguments contre l’AMM s’expriment sous trois formes : 1) l’opposition religieuse; 2) la théorie de la pente glissante; et 3) les arguments médico-éthiques (National Health Service, 2014). Les tenants des arguments religieux de la prohibition de l’AMM invoquent plusieurs principes pour justifier leur opposition. De nombreuses religions considèrent que la vie humaine est un « don de Dieu » et une richesse sacrée et unique; personne n’a donc le pouvoir de porter atteinte à la dignité et à la valeur innées de la vie humaine en enlevant la vie d’autrui, peu importe dans quelle intention. L’argument peut-être le plus souvent cité contre l’AMM est la théorie de la « pente glissante ». Les tenants de cette théorie affirment que de permettre l’AMM pour les malades en phase terminale amorce une descente sur une « pente glissante » : on permettrait ensuite l’AMM pour les personnes handicapées, puis pour les personnes atteintes de maladies mentales et enfin pour celles qui sont simplement « fatiguées » de la vie (British Broadcasting Corporation, 2009). À n’en pas douter, un ton sinistre résonne chez ceux qui voient en l’AMM un signe annonciateur de la fin des soins palliatifs. Un tel pessimisme n’a toutefois pas sa raison d’être. Plusieurs pays (les Pays-Bas, la Belgique) et des États américains (comme l’Orégon) ont établi des mesures légalisant l’AMM. Or, on n’a pas relevé dans ces régions de tendances légitimant la théorie de la pente glissante (Carter v. Canada, 2012). En fait, en évaluant la légitimité de l’AMM, la juge Lynn Smith a déclaré : « les preuves déposées dans d’autres juridictions montrent que les risques inhérents à l’aide à mourir légalement autorisée ne se sont pas matérialisés comme on l’avait prédit » (Carter v. Canada, 2012). De plus, « Après la légalisation, le nombre d’interruptions de vie sans demande explicite a beaucoup diminué dans les deux juridictions [Pays-Bas et Orégon]. Ces données probantes apaisent dans la pratique la crainte qu’il existe une pente glissante » (Carter v. Canada, 2012) [traduction libre]. Les personnes qui citent les arguments médico-éthiques soutiennent que les codes fondateurs de la déontologie médicale (p. ex. le serment d’Hippocrate) interdisent d’ôter la vie d’un patient, peu importe l’intention visée. Les érudits reconnaîtront toutefois que le principe le plus souvent cité, « d’abord ne pas nuire », ne figure pas dans le serment d’Hippocrate. Par ailleurs, on prête aux États-Unis l’équivalent contemporain du serment d’Hippocrate dans les termes suivants : « S’il m’est donné de sauver une vie, j’en rends grâce. Mais il peut aussi être en mon pouvoir d’enlever une vie. Cette terrible responsabilité doit être affrontée avec une grande humilité et en toute conscience de ma propre fragilité » [traduction libre], ce qui rend l’argument non pertinent dans les circonstances (Johns Hopkins University, 2015).

L’AMM est un enjeu de santé publique, surtout par rapport aux principes fondamentaux de justice sociale et d’équité et à l’allocation des ressources en santé. L’éthique en santé publique met de l’avant une perspective conséquentialiste : on favorise les « bons » résultats sanitaires et on prévient les « mauvais ». De ce point de vue, la perspective de santé publique semble être une contre-indication flagrante de l’AMM (R. Faden et S. Shebaya, 2015). Un tel conflit est toutefois atténué si l’on tient compte du principe de justice sociale, qui souligne l’importance du droit de chaque citoyen et citoyenne de prendre des décisions médicales concernant son propre corps et d’avoir un accès équitable aux ressources médicales (R. Faden et S. Shebaya, 2015; Association canadienne de santé publique, 2016). Ce qui importe, c’est que l’objection de conscience à l’AMM par les établissements de santé publique, dont le résultat est le refus complet d’offrir ce service, constitue indéniablement un obstacle inéquitable à l’accès aux soins de santé et enfreint par conséquent plusieurs des principes fondateurs de l’éthique en santé publique, dont la justice sociale et l’équité des soins (N. Incardona, S. Bean, K. Reel et F. Wagner, 2016). En outre, l’application des principes d’éthique en santé publique s’étend à la remise en question : 1) du seuil moral à franchir pour l’objection de conscience (les établissements de santé publique peuvent-ils, comme les simples citoyens, avoir une objection de conscience face à l’AMM?); et 2) de l’obligation, pour les établissements de santé publique qui reçoivent des ressources financières du gouvernement, de donner accès à toutes les options de soins de santé légalement disponibles aux Canadiens (N. Incardona, S. Bean, K. Reel et F. Wagner, 2016).

Notons que pas une seule fois dans cet article je n’ai parlé de « suicide médicalement assisté ». Ce n’est pas anodin; cela traduit plutôt ma perspective générale sur la question. Non seulement je rejette la notion voulant que l’AMM soit une forme de « suicide » et non une mort digne, mais je crois fermement en l’autonomie et en la liberté de choix des patients, en particulier ceux qui expriment leur insatisfaction devant l’évolution de leur maladie et la détérioration de leur qualité de vie. Comme futur médecin, je crois qu’il sera de mon devoir de pratiquer et d’offrir l’AMM en tant qu’option de traitement légitime aux patients concernés.
 


  1. People v. Kevorkian, 437 N.W.2d 447 (Mich. Ct. App. 2001). Repéré à : http://caselaw.findlaw.com/mi-court-of-appeals/1372937.html (Consulté le 15 mars 2016).
  2. Environics Research Group. Canadian’s Attitudes towards End-of-life Issues. 2013. Repéré à : http://right2life.ca/wp-content/uploads/2012/09/Environics-LifeCanada-Euthansia-Report-2013-FINAL.pdf (Consulté le 15 mars 2016).
  3. Carter v. Canada (Attorney General), 2015, 1 SCR 331, 2015. Repéré à : https://scc-csc.lexum.com/scc-csc/scc-csc/en/item/14637/index.do (Consulté le 15 mars 2016).
  4. Charter of Rights and Freedoms, s.7, Part I of the Constitution Act, 1982, being Schedule B to the Canada Act 1982 (UK), 1982, c 11. v : http://laws-lois.justice.gc.ca/eng/const/page-15.html (Consulté le 15 mars 2016).
  5. National Health Service. Euthanasia and assisted suicide- Arguments. 2014. Repéré à : http://www.nhs.uk/Conditions/Euthanasiaandassistedsuicide/Pages/Arguments.aspx (Consulté le 15 mars 2016).
  6. British Broadcasting Corporation. Euthanasia and assisted dying. 2009. Repéré à : http://www.bbc.co.uk/religion/religions/christianity/christianethics/euthanasia_1.shtml (Consulté le 15 mars 2016).
  7. Carter v. Canada (Attorney General), 2012, BCSC 886 Repéré à : https://www.canlii.org/en/bc/bcsc/doc/2012/2012bcsc886/2012bcsc886.html (Consulté le 16 mars 2016).
  8. Johns Hopkins University. Bioethics. 2015. Repéré à : http://guides.library.jhu.edu/c.php?g=202502&p=1335759 (Consulté le 16 mars 2016).
  9. Faden, R., Shebaya, S. Public Health Ethics. The Stanford Encyclopedia of Philosophy (Spring 2015 Edition), Edward N. Zalta (ed.) 2015 Feb 19. Repéré à : https://plato.stanford.edu/entries/publichealth-ethics/ (Consulté le 14 mars 2016).
  10. Canadian Public Health Association. Medical Assistance in Dying. April 2016. Repéré à : http://www.cpha.ca/uploads/policy/maid_evidence_e.pdf (Consulté le 14 mars 2016).
  11. Incardona, N., Bean, S., Reel, K., & Wagner, F. An Ethics-based Analysis and Recommendations for Implementing Physician-Assisted Dying in Canada. University of Toronto. February 2016. Repéré à : http://jcb.utoronto.ca/news/documents/JCB-PAD-Discussion-Paper-2016.pdf (Consulté le 15 mars 2016).

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