Pourquoi les étudiants abusent-ils des nootropes, et que pouvons-nous y faire?
Dor Abelman
L’usage détourné de stimulants sur ordonnance par les étudiants pour améliorer leurs résultats scolaires est un phénomène qui prend de l’ampleur et dont les effets négatifs sur la santé sont de plus en plus souvent signalés. Selon une étude récente, plus d’un étudiant d’université sur 20 en Amérique du Nord avait consommé des médicaments conçus pour traiter le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH) au cours de l’année antérieure – des nootropes comme Adderall, Ritalin, Concerta ou Focalin – pour améliorer ses résultats scolaires [Non-medical use of prescription stimulants among US college students: prevalence and correlates from a national survey, Cognitive Enhancement in Canadian Medical Students, Nonmedical ADHD Stimulant Use in Fraternities, College Undergraduate Ritalin Abusers in Southwestern California: Protective and Risk Factors]. La plupart des étudiants qui prennent des nootropes de façon occasionnelle ne subissent pas d’effets dommageables pour leur santé, mais des problèmes cardiaques graves et des effets de dépendance, d’anxiété et de psychose ont néanmoins été signalés.
Dans un nouvel article pour le Harm Reduction Journal (dans BioMed Central), j’ai évalué 50 études dans l’espoir de défricher le terrain. Ma revue de la littérature spécialisée m’a permis de constater que de nombreux étudiants prennent des nootropes pour composer avec des problèmes sous-jacents comme le manque d’estime de soi, la forte dépendance à l’égard d’auditoires externes pour la validation, le peu de sources de sens dans leur vie, le manque d’attention parentale et d’éventuels troubles mentaux.
En prenant du recul pour observer un vaste échantillon d’utilisateurs de ces substances et en cherchant à dégager des tendances, on commence à remarquer des facteurs de risque, lesquels peuvent être utilisés pour concevoir des campagnes efficaces de réduction du risque. Par exemple, chez les étudiants qui prennent des nootropes, des problèmes préexistants d’abus d'alcool, de troubles mentaux ou de faible estime de soi sont plus souvent signalés que chez les étudiants qui ne prennent pas de nootropes.
Les théories de la dépendance, qui dépeignent les médicaments ou les drogues comme étant des mécanismes d’adaptation à des problèmes plus profonds, peuvent s’appliquer ici. En envisageant l’abus de nootropes sous cet angle, il est plus facile de tenir compte des facteurs de risque sous-jacents de leur consommation qui pourraient avoir été négligés et d’aider les sujets à réduire leur consommation et à améliorer plus efficacement leurs résultats de santé. Tous les étudiants qui prennent des nootropes n’ont pas de problèmes sous-jacents, mais en aidant ceux qui ont de tels problèmes, il pourrait être possible d’améliorer leurs résultats de santé et de réduire les méfaits de leur consommation de médicaments.
Dans mon article, je recommande aux établissements postsecondaires de lancer durant leurs semaines d’orientation des campagnes de sensibilisation aux dangers de la consommation de nootropes, d’offrir des services psychologiques à toute la population étudiante pour que personne n’hésite à demander de l’aide au besoin, d’encourager la participation aux activités parascolaires pour aider les étudiants à donner un sens à leur vie et à se sentir plus efficaces, et de lancer des campagnes pour inciter les étudiants atteints d’un TDAH à ne pas céder aux pressions de leur entourage de partager leurs médicaments avec eux. Ces étudiants représentent en effet la plus grande porte d’accès aux nootropes en milieu universitaire.
En contribuant à réduire les pressions subies par les étudiants – par exemple en leur offrant du soutien dans leurs études, en leur procurant des occasions de donner plus de sens à leurs études et à y prendre plaisir, et en contrant l’idée fausse que « tout le monde le fait » –, il serait possible de réduire les facteurs de risque qui poussent certains d’entre eux à essayer des médicaments potentiellement dangereux.
Enfin, je suis contre l’application de politiques d’interdiction des nootropes, car les étudiants qui en abusent doivent pouvoir se sentir libres de demander de l’aide. Beaucoup sont aux prises avec d’autres problèmes, et interdire la consommation n’a pas permis d’optimiser les résultats de santé dans d’autres cas semblables; réduire la stigmatisation associée à l’utilisation de nootropes peut être un moyen plus efficace d’aider les étudiants qui ont le plus besoin d’aide.
Le cadre que je propose pour améliorer les résultats de santé des étudiants qui abusent des médicaments respecte les principes de la réduction des méfaits. Selon ces principes, beaucoup de gens continueront à abuser des médicaments ou des drogues malgré tous les efforts pour prévenir la consommation de ces substances, beaucoup d’utilisateurs de drogues n’ont pas besoin de traitement, et il existe des moyens d’aider les utilisateurs à éviter les effets délétères sur leur santé. Cela ne veut pas dire que les efforts de prévention sont inutiles, mais simplement qu’il pourrait être plus efficace de les combiner avec une démarche de réduction des méfaits ciblant les nombreuses personnes qui consomment déjà des substances potentiellement dangereuses.
En nous concentrant sur la réduction des méfaits et en tenant compte des déterminants sociaux de la santé, nous pouvons aider les étudiants à obtenir des résultats de santé plus favorables à une période critique et mémorable de leur vie.
Pour en savoir plus: Mitigating risks of students use of study drugs through understanding motivations for use and applying harm reduction theory: a literature review par Dor David Abelman dans le Harm Reduction Journal.
Post a comment