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Canadian Public Health Association

Trois degrés d’influence sociale : l’idée d’une contagion sociale en santé publique se répand

Jacquelyn Shaw

Jacquelyn Shaw

La contagion sociale se répand, sans vaccin à l’horizon! Mais pas de panique : l’exposition à ce concept peut être bonne pour la santé publique. D’une part, le fait de considérer certains phénomènes sociaux nocifs qui ont des effets sur la santé publique – comme la violence armée, le suicide chez les adolescents, la consommation de drogue ou l’obésité – comme ayant les caractéristiques d’une épidémie peut contribuer à la lutte contre ces problèmes épineux. De nombreuses campagnes de santé publique cherchent à implanter des normes sociales nouvelles et positives au sein des populations – comme d’éternuer dans sa manche et non dans sa main. La population gagne de plus en plus à l’adoption généralisée de ces nouvelles normes, qui font diminuer les infections respiratoires. Un regard plus attentif sur la contagion sociale peut donc contribuer, à plusieurs égards, à l’atteinte d’objectifs de santé publique. 

Le concept de la contagion sociale représente un changement de paradigme récent dans la lutte contre des problèmes de santé publique complexes contre lesquels rien ne semblait fonctionner auparavant. La violence des rues en est un exemple. Lors d’une discussion récente pendant Santé publique 2017, la conférence annuelle de l’Association canadienne de santé publique, le panéliste Carlos Beals du groupe CeaseFire Halifax a fait état de parallèles entre les épidémies sociales et virales. Dans les deux cas, des sujets exposés deviennent « infectés », répandent la « contagion » à d’autres victimes, dont certaines répètent le cycle en laissant derrière elles un sillage grandissant de blessures dues à la violence. Durant la même discussion, Dr Peter Donnelly de Santé publique Ontario a indiqué que le recours à des stratégies « moralisatrices » contre la violence des rues en Écosse (p. ex. la criminalisation) a eu des coûts humains et économiques élevés sans résoudre le problème. 

Repenser les blessures dues à la violence comme ayant des propriétés semblables à celles des épidémies est une notion radicale qui défie le classement habituel de ces blessures parmi les maladies « non transmissibles ». Empiriquement pourtant, traiter la violence des rues comme une épidémie socialement contagieuse, comme le font les groupes associatifs CeaseFire à Halifax et ailleurs, semble fonctionner pour interrompre le cycle « infectieux » et sauver des vies dans de nombreuses régions. La stratégie consiste à : 

  1. Déterminer quelles sont les personnes infectieuses et réceptives à l’ « infection » par la violence et réduire leur risque de la transmettre;
  2. Prédire et interrompre les nouveaux épisodes infectieux; 
  3. Modifier les normes sociales sous-jacentes qui appuient la transmission de la violence (p. ex., Carlos Beals assimile à une acceptation fataliste de la violence locale les paroles comme « ça se passe toujours comme ça par ici »).

Dans un exemple spécifiquement américain, un tireur potentiel a été séparé de ses pairs – pour ne pas qu’ils l’encouragent – et des victimes visées; des stratégies pacifiques comme la médiation ont été promulguées; et des marchandises volées qui risquaient de ranimer le conflit ont été retournées. 

L’interruption d’une épidémie de violence passe peut-être nécessairement par la confiance accordée aux « interrupteurs de violence » par les parties en conflit, confiance qui rehausse leur influence sociale. Certains « interrupteurs de violence » sont eux-mêmes d’anciens auteurs de violence des rues et ont souvent trois degrés de séparation ou moins avec les parties en conflit. Cette distance de trois degrés a aussi été observée entre les victimes de violence. À Chicago par exemple, les personnes à une distance sociale de deux ou trois degrés d’une personne blessée par balle couraient un risque plus élevé de subir elles aussi une blessure par balle. De façon générale, les chercheurs qui s’intéressent à la contagion sociale constatent systématiquement qu’un vaste éventail de comportements sociaux négatifs et positifs « se répandent » principalement sur une distance de trois degrés de séparation d’avec la « personne source » qui a introduit le comportement en question. Autrement dit, si vous introduisez un nouveau comportement sanitaire, il pourrait persister parmi vos amis, les amis de vos amis et peut-être même les amis des amis de vos amis; au-delà, il finira habituellement par s’éteindre. 

Si de telles corrélations sont causales, cela expliquerait pourquoi les membres de gang réformés de CeaseFire – qui ont des connexions sociales antérieures avec les parties en conflit – réussissent à calmer le jeu alors que des personnes de l’extérieur de la communauté touchée ne le peuvent pas. Dans les relations en personne, le schéma des trois degrés a été observé dans des comportements comme la consommation de substances et l’obésité. Il peut aussi influencer l’adoption des tendances en ligne, comme dans une étude portant sur Twitter où le partage des gazouillis ne survenait que sur une distance de trois degrés par rapport à l’auteur du premier gazouillis. En ligne comme hors ligne donc, les liens de confiance antérieurs peuvent constituer un outil vital dans la lutte contre les fléaux en santé publique. 

Pourquoi le schéma des « trois degrés d’influence » opère-t-il? Ce n’est pas encore clair. On ne sait pas non plus très bien pourquoi, paradoxalement, certaines contagions semblent pouvoir se propager plus loin. D’autres facteurs entrent probablement en jeu, sinon la violence des rues devrait se consumer ou s’éteindre au-delà d’une distance de trois degrés. Mais bien que tous les détails de son mécanisme ne soient pas encore compris, le concept des « trois degrés d’influence » peut être utile sur le plan empirique pour lutter contre des problèmes de santé publique complexes. Après tout, quand le père de l’épidémiologie, le médecin John Snow, a fait enlever la poignée de la célèbre pompe à eau de la rue Broad en 1854 pour interrompre une éclosion de choléra, le monde ne savait pas encore exactement pourquoi ce geste avait endigué la maladie.

De nombreux problèmes de santé publique particulièrement épineux sévissent encore aujourd’hui. Les trois degrés d’influence de la contagion sociale peuvent être une arme de plus dans notre arsenal. Pour mettre ce concept en pratique, il faut peut-être sélectionner de préférence des promoteurs de la santé au sein même d’une communauté touchée, comme en formant des membres de communautés marginalisées difficiles à atteindre pour aider à modifier les normes sociales sur le terrain. De telles stratégies pourraient être plus efficaces pour propager les messages de santé publique que de s’en tenir au seul contenu de l’information : son niveau de lecture, son attrait visuel ou sa formulation positive plutôt que négative. Pour obtenir de meilleurs résultats de santé publique, ce qui compte, ce n’est pas nécessairement ce que les populations cibles connaissent, mais qui elles connaissent.
 


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