Main navigation French

Canadian Public Health Association

Vers la réconciliation : la présence nécessaire de voix autochtones dans les stratégies de santé autochtone

Laurie-Ann Lines, Dr. Cindy Jardine

En 2015, la Commission de vérité et réconciliation du Canada (CVR) publiait des Appels à l’action « afin de remédier aux séquelles laissées par les pensionnats et de faire avancer le processus de réconciliation » (CVR, 2015, p. 1). Bon nombre de ces appels s’adressent aux universités et aux chercheurs, car les établissements d’enseignement supérieur ont les ressources et l’influence nécessaires pour opérer des changements sur le plan de l’éducation, de la santé et de la réconciliation. Notre article est l’un des premiers de la littérature émergente sur les pratiques institutionnelles exemplaires en réponse aux appels. Son but est d’inviter les personnes impliquées, ou en mesure de s’impliquer, à prendre du recul et à repenser leur démarche. 

Les résultats de santé des Autochtones sont parmi les plus dévastateurs au monde, mais dans les cercles universitaires, la recherche interventionnelle en santé sur ce sujet est rare et de portée limitée. Les auteurs d’une revue des programmes de santé cardiovasculaire efficaces en milieu communautaire autochtone n’ont pas trouvé de programmes de traitement cardiovasculaire exclusivement axés sur les Premières Nations (Huffman et Galloway, 2010, p. 354). Et les auteurs d’une revue des initiatives de santé mentale chez les Autochtones de l’Arctique ont constaté l’absence d’études culturellement appropriées (Lehti et al., 2009). 

Au-delà de leur petit nombre et de leur manque de diversité, les études existantes sur la santé autochtone mesurent rarement l’efficacité des interventions (Angell, Muhunthan, Irving, Eades et Jan, 2014), notamment leurs méthodes et leurs évaluations. Les chercheurs qui obtiennent des subventions pour mener et évaluer des interventions en milieu autochtone ne sont généralement pas astreints à ce que ces interventions bénéficient aux communautés autochtones. À titre d’exemple, Lehti et collègues (2009) constatent que beaucoup d’études décrivent les populations et les milieux de vie autochtones liés aux interventions, mais omettent d’intégrer ces informations dans de la recherche culturellement appropriée. Dans les études, les bienfaits des interventions sur le plan de la santé sont généralement mesurés par des méthodes d’évaluation individualistes occidentalisées et non selon des indicateurs communautaires holistiques autochtones; l’occasion d’évaluer comme il se doit l’efficacité de ces interventions est donc manquée (Angell et al., 2014). Les interventions visent aussi couramment à changer les comportements sanitaires, spécifiquement pour le diabète et l’obésité, au lieu d’aborder les réalités historiques sous-jacentes du néocolonialisme et de la marginalisation des Autochtones (Rice et al., 2016). Les indicateurs sociosanitaires peuvent éclairer les interventions et les évaluations en soulignant les aspects socioculturels et historiques à considérer et à intégrer (Marks, Cargo et Daniel, 2007). Mais ces indicateurs ne sont pertinents ou représentatifs que s’ils sont envisagés dans une optique autochtone qui considère les problèmes, les priorités et les systèmes communautaires de façon holistique (CRPA, 1996). 

De nombreuses interventions ciblant les populations autochtones ont peu de succès, car il leur manque une perspective autochtone holistique du mieux-être (Smylie et al., 2009). Il est admis qu’il existe un décalage entre la perspective de la plupart des chercheurs lorsqu’ils définissent et abordent les problèmes de santé communautaire, et les priorités et objectifs d’une communauté autochtone (Maar et al., 2011). La plupart des chercheurs et des praticiens de la santé autochtone ne sont pas Autochtones; étant de l’extérieur, ils sont confrontés à des complexités qui peuvent introduire des déséquilibres socioéconomiques et de pouvoir, symptômes de l’histoire coloniale (Kirmayer, Simpson et Cargo, 2003) et des structures néocoloniales persistantes, comme les universités (Duran et Duran, 1995). Ces facteurs ne peuvent être atténués que par une véritable collaboration avec les communautés autochtones (Kirmayer et al., 2003) et en laissant les voix autochtones s’exprimer au sujet des systèmes, des valeurs et des connaissances traditionnelles. Sinon, chercheurs et praticiens de la santé risquent sans le vouloir de perpétuer les effets du néocolonialisme que sont la désorganisation sociale, la souffrance collective et la perte de la culture (Kirmayer, Brass et Tait, 2000). Par exemple, l’inefficacité des mesures de prévention du suicide dans les communautés autochtones a été imputée aux incongruités culturelles ressenties par les Autochtones (Wexler et Gone, 2012). En réalité, ces interventions causent des perturbations culturelles et communautaires qui ont été corrélées avec des taux de suicide plus élevés chez les Autochtones (Tatz, 2005). Inversement, les faibles taux de suicide sont corrélés avec l’autonomisation communautaire, les liens communautaires et familiaux, et les affinités culturelles autochtones (Fleming et Ledogar, 2008). Il faut que les chercheurs reconnaissent que les études sont plus fructueuses quand les communautés autochtones y sont parties prenantes (Cochran et al., 2008) et quand elles emploient des démarches axées sur la culture. Pour atténuer les mauvais résultats de santé dans les populations autochtones, il ne s’agit pas que de reprendre la terminologie autochtone : il faut inclure des voix autochtones authentiques. 

Il est important de reconnaître que certains chercheurs du domaine de la santé ont une bonne collaboration avec les communautés autochtones et qu’ils appuient la perspective des populations et des dirigeants autochtones (Drawson, Toombs et Mushquash, 2017; Lavallee, 2009; Lincoln et Gonzalez, 2008). À la lumière de ces études et de nos expériences personnelles, nous avons dressé la liste des points communs entre les collaborations de recherche efficaces; ces points peuvent être utiles lorsqu’il s’agit de répondre aux appels de la CVR : 

  1. Mentorer des étudiantes et des étudiants autochtones pour prendre le relais comme chercheurs et universitaires 
  2. Faire un « examen de conscience » avant de répondre à un appel
  3. Appuyer le processus de décolonisation chez les non-Autochtones membres de la population étudiante et du corps professoral en leur proposant des activités qui les interpellent et en les invitant à faire une évaluation critique
  4. Trouver de nouvelles façons de collaborer pour favoriser la perspective et la rétroaction des Autochtones et le dialogue avec eux et elles 

Ces suggestions ramènent à un thème primordial : la validité des modes de savoir autochtones. Il est temps d’abandonner les démarches superficielles où les chercheurs se limitent à inviter des Autochtones à participer à leur étude pour pouvoir cocher une case. Il est temps de reconnaître que les connaissances et la perspective de l’Occident ne sont pas les seules. Les non-Autochtones doivent admettre qu’ils ont une vision non autochtone du monde — peu importe le nombre d’Autochtones qu’ils connaissent ou qu’ils ont étudiés. 

L’intégration des perspectives autochtones dans la recherche, les programmes et les protocoles de santé interrompt la volonté coloniale constante de résoudre les problèmes autochtones, et elle remet en question la certitude que la « solution » passe par le colonisateur et par les structures coloniales comme l’enseignement postsecondaire et les établissements de recherche. De nombreux appels de la CVR disent textuellement que les choses doivent se faire « en collaboration avec les groupes autochtones ». Bien que ce ne soit pas mentionné dans chaque appel, la participation et la direction des Autochtones et de leurs communautés sont essentielles. Ces appels ne sont pas uniquement des lignes directrices pour résoudre les problèmes auxquels les Autochtones et leurs communautés sont confrontés; ils visent aussi à briser le colonialisme perpétué par les actions passées et présentes des Canadiennes et des Canadiens. Les mesures recommandées présentées par la CVR n’ont rien de nouveau; les dirigeants autochtones en avaient déjà fait état. C’est délibérément qu’elles ont été reformulées en appels à l’action pour susciter et inspirer des changements. Elles disent aux Autochtones et aux non-Autochtones de cesser d’être les réceptacles passifs des systèmes du Canada et d’agir. Car tel est le problème : les approches coloniales sont souvent des solutions de repli imperceptibles, incontestées et habituelles. Il est temps que les choses changent — il est temps de laisser une nouvelle voix s’exprimer.

 



Bibliographie

Angell, B., J. Muhunthan, M. Irving, S. Eades et S. Jan. « Global systematic review of the cost-effectiveness of Indigenous health interventions », PLOS One, vol. 9, no 11 (2014), p. 1 12. doi: 10.1371/journal.pone.0111249

Cochran, P.A., C.A. Marshall, C. Garcia-Downing, E. Kendall, D. Cook, L. McCubbin et R.M. Gover. « Indigenous ways of knowing: implications for participatory research and community », American Journal of Public Health, vol. 98, no 1 (2008), p. 22-27. doi: 10.2105/AJPH.2006.093641

Commission de vérité et réconciliation du Canada. Commission de vérité et réconciliation du Canada : Appels à l’action, Winnipeg, la Commission, 2015. Sur Internet : http://www.trc.ca/websites/trcinstitution/File/2015/Findings/Calls_to_Action_French.pdf

Commission royale sur les peuples autochtones. Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, 1996. Sur Internet : http://www.aadnc-aandc.gc.ca/fra/1307458586498/1307458751962

Drawson, A.S., E. Toombs et C.J. Mushquash. « Indigenous research methods: a systematic review », The International Indigenous Policy Journal, vol. 8, no 2 (2017), p. 1-25. doi: 10.18584/iipj.2017.8.2.5

Duran, E., et B. Duran. Native American Postcolonial Psychology, Albany, State University of New York Press, 1995.

Fleming, J., et R.J. Ledogar. « Resilience, an evolving concept: a review of literature relevant to Aboriginal research », Pimatisiwin: A Journal of Aboriginal & Indigenous Community Health, vol. 6, no 2 (2008), p. 7-23.

Huffman, M., et J. Galloway. « Cardiovascular health in indigenous communities: successful programs », Heart, Lung & Circulation, vol. 19, no 5-6 (2010), p. 351-360. doi:10.1016/j.hlc.2010.02.013

Kirmayer, L., G. Brass et C. Tait. « The mental health of Aboriginal peoples: transformations of identity and community », Canadian Journal of Psychiatry - Revue canadienne de psychiatrie, vol. 45, no 7 (2000), p. 607-616.

Kirmayer, L., C. Simpson et M. Cargo. « Healing traditions: culture, community and mental health promotion with Canadian Aboriginal peoples », Australasian Psychiatry, vol. 11S (2003), p. 15-23.

Lavallée, L.F. « Practical application of an Indigenous research framework and two qualitative Indigenous research methods: sharing circles and Anishnaabe symbol-based reflection », International Journal of Qualitative Methods, vol. 8, no 1 (2009), p. 21-40. Sur Internet : https://journals.library.ualberta.ca/ijqm/index.php/IJQM/article/view/943

Lehti, V., S. Niemelä, C. Hoven, D. Mandell et A. Sourander. « Mental health, substance use and suicidal behaviour among young Indigenous people in the Arctic: a systematic review », Social Science & Medicine, vol. 69, no 8 (2009), p. 1194-1203. doi:10.1016/j.socscimed.2009.07.045

Lincoln, Y., et G.E. González. « The search for emerging decolonizing methodologies in qualitative research », Qualitative Inquiry, vol. 14, no 5 (2008), p. 784-805. doi: 10.1177/1077800408318304

Maar, M., N. Lightfoot, M. Sutherland, R. Strasser, K. Wilson, C. Lidstone-Jones ... et P. Williamson. « Thinking outside the box: Aboriginal people’s suggestions for conducting health studies with Aboriginal communities », Public Health, vol. 125, no 11 (2011), p. 747-753.

Marks, E., M.D. Cargo et M. Daniel. « Constructing a health and social indicator framework for Indigenous community health research », Social Indicators Research, vol. 82, no 1 (2007), p. 93 110. doi:10.1007/s11205-006-9016-z

Rice, K., B. Te Hiwi, M. Zwarenstein, B. Lavallee, D.E. Barre et S.B. Harris. « Best practices for the prevention and management of diabetes and obesity-related chronic disease among Indigenous peoples in Canada: a review », Canadian Journal of Diabetes, vol. 40, no 3 (2016), p. 216-225. doi:10.1016/j.jcjd.2015.10.007

Smylie, J., N. Kaplan-Myrth, K. McShane, Metis Nation of Ontario-Ottawa Council, Pikwakanagan First Nation et Tungasuvvingat Inuit Family Resource Centre. « Indigenous knowledge translation: baseline findings in a qualitative study of the pathways of health knowledge in three Indigenous communities in Canada », Health Promotion Practice, vol. 10, no 3 (2009), p. 436-446. doi:10.1177/1524839907307993

Tatz, C. Martin. Aboriginal Suicide Is Different: A Portrait of Life and Self-Destruction, 2e éd., Canberra, Aboriginal Studies Press, 2005.

Wexler, L.M., et J.P. Gone. « Culturally responsive suicide prevention in Indigenous communities: unexamined assumptions and new possibilities », American Journal of Public Health, vol. 102, no 5 (2012), p. 800-806. doi:10.2105/AJPH.2011.300432
 


Retour au blogue


Post a comment

Restricted HTML

  • Allowed HTML tags: <a href hreflang> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd> <h2 id> <h3 id> <h4 id> <h5 id> <h6 id>
  • Lines and paragraphs break automatically.
  • Web page addresses and email addresses turn into links automatically.