Littératie en santé et santé publique
Carolina Jimenez, RN
Avec la complexité croissante des systèmes de soins de santé, patients et usagers doivent être très autonomes et faire usage de stratégies d’auto-prise en charge pour avoir une santé optimale. La littératie en santé est l’une des principales aptitudes qu’il est utile d’avoir pour s’y retrouver dans des systèmes aussi complexes. Encore aujourd’hui, il n’existe pas de définition communément acceptée de la littératie en santé, que ce soit dans la littérature spécialisée ou la littérature grise. C’est un concept relativement nouveau, et l’ambiguïté règne.
Se résumant à l’origine aux capacités de lecture, d’écriture et de calcul dans le domaine de la santé, la littératie en santé aurait évolué, selon certaines sources, en un concept plus fluide et pluridimensionnel. Les anciennes acceptions de la littératie en santé, par exemple, s’opposent souvent aux modèles progressistes plus récents, qui estiment que les aptitudes cognitives et affectives et la capacité de prendre des décisions sont vitales. Au-delà du cadre clinique, ces aptitudes à traiter l’information s’étendent aux pratiques de littératie en santé qui englobent la culture, le contexte et le langage. Le discours sur la littératie en santé est contradictoire, et l’on ne s’entend pas définitivement sur la portée à donner à sa définition.
La multitude de définitions de la littératie en santé et les dissonances dans sa conceptualisation posent problème. Son contraire, l’analphabétisme en santé, est associé à des niveaux élevés de morbidité à l’échelle individuelle et sociétale (Speros, 2005). Les personnes qui maîtrisent mal l’information en matière de santé disent avoir de la difficulté à comprendre et à observer leurs traitements médicaux et font état d’une moins bonne santé en général. Elles sont donc plus susceptibles d’être hospitalisées, ce qui augmente la pression sur les services publics (Frisch, Camerini, Diviani et Schultz, 2012, p. 117). Bien qu’étonnamment les données montrent que « la littératie en santé est un meilleur indicateur prévisionnel de l’état de santé que le statut socioéconomique, l’âge ou l’origine ethnique » (Speros, 2005, p. 633), il faut admettre que la littératie en santé et les trois caractéristiques démographiques mentionnées par Speros ne permettent pas indépendamment de prédire la santé. L’analphabétisme en santé peut être préjudiciable à l’ensemble du système de prestation des soins de santé. Une meilleure compréhension de la littératie en santé et des concepts qui y ont été rattachés jusqu’à maintenant permettrait aux agents et au personnel administratif de la santé publique d’adapter les initiatives de promotion et d’éducation sanitaires. Elle faciliterait aussi l’adaptation de l’information et des services de santé pour en améliorer la complétude et l’accessibilité.
Le modèle de santé publique de la littératie en santé
Les définitions récentes proposent une acception plus vaste de la littératie en santé, fortement inspirée de la théorie de la santé publique, pour en faire un atout individuel et collectif. Cette perspective trouve aussi ses racines dans la promotion de la santé, la biostatistique, l’épidémiologie, les sciences de la santé environnementale, et les sciences sociales et du comportement (Smith, 2009). Selon le modèle de santé publique, l’objectif premier de la littératie en santé est de permettre aux particuliers et à la collectivité d’exercer une plus grande maîtrise sur les nombreux facteurs individuels, sociaux et environnementaux qui favorisent la santé (Nutbeam, 2000). Ici, la littératie en santé est vue comme ayant une importance égale dans la communauté et en milieu clinique, pour la santé des populations comme pour celle des particuliers (Smith, 2009). Non seulement permet-elle individuellement de « poser plus de gestes pour améliorer sa santé qui se traduiront par de meilleurs résultats sanitaires », mais elle offre un plus large éventail d’options et de possibilités pour la santé (Smith, 2009, pages 53–54). Selon cette perspective élargie, la littératie en santé est le produit des efforts de promotion et d’éducation sanitaires, lesquels fluctuent dans le temps et en fonction des occasions, de l’expérience et des ressources (Frisch et al., 2012; Smith, 2009; Speros, 2005). La santé publique applique un point de vue socioculturel éminemment pratique, où la littératie en santé est irrévocablement modelée par une réflexion critique à l’échelle de l’individu et de la société (Smith, 2009). Sous la loupe de la santé publique, la notion de capital culturel est très pertinente pour la littératie en santé : les facteurs culturels comme les convictions, les comportements et les coutumes structurent l’accès à la santé et les choix individuels et collectifs (Rustvold, 2012).
Promouvoir la santé en utilisant le modèle de santé publique de la littératie en santé
Nous pouvons considérer la littératie en santé du point de vue de la santé publique comme étant un atout individuel et collectif à renforcer par des interventions d’éducation et de promotion sanitaires (Nutbeam, 2008; Smith, 2009). Plus précisément, il est très possible pour les interventions communautaires de favoriser la maîtrise fonctionnelle de l’information en santé en utilisant le modèle de santé publique de la littératie en santé. Les professionnels de la santé publique devraient songer à ce modèle lorsqu’ils conçoivent des politiques, des programmes de rayonnement et des initiatives communautaires. À l’aide d’un tel modèle, ils peuvent mettre au point des interventions qui demandent aux acteurs de ne pas simplement détenir des connaissances sur la santé, mais de les appliquer pour maintenir et favoriser la santé (Smith, 2009). Les interventions devraient alors être axées sur des méthodes d’éducation et de promotion sanitaires qui favorisent la littératie fonctionnelle en matière de santé, laquelle peut être mesurée et évaluée selon le niveau de fonctionnement en santé (Smith, 2009).
Les assises de la santé physique, cognitive, sociale et affective se construisent au cours des premières années de la vie (National Academy of Science/National Research Council, 2000). C’est pourquoi les investissements dans des initiatives d’éducation et de promotion sanitaires auprès des enfants offrent la possibilité d’améliorer à long terme les comportements sanitaires et les résultats économiques et civiques (Smith, 2009). C’est une considération importante, car les professionnels de la santé publique ont la possibilité de renforcer et de protéger la littératie en santé des personnes à risque de devenir des analphabètes de la santé. Ces professionnels devraient se demander qui atteint des niveaux élevés de fonctionnement en santé, puis adapter leurs interventions aux personnes dont le fonctionnement en santé risque d’être retardé ou limité (Smith, 2009). Les pistes d’intervention devraient privilégier les environnements appauvris, comme les milieux peu stimulants sur le plan cognitif et affectif, sans égard au revenu, car ces milieux sont des prédicteurs des comportements nuisibles pour la santé (Smith, 2009).
Discussion
L’évolution de la littératie en santé d’un concept centré sur l’examen d’attributs objectifs, comme les capacités de lecture et de calcul, à une définition holistique comme celle proposée par l’OMS (2009), axée sur l’aspect fonctionnel de la littératie en santé et des capacités de base en lecture, en écriture et en calcul, est soulignée tant dans la littérature spécialisée que dans la littérature grise (Oldfield, 2010). Il est évident qu’avec l’évolution des conditions sociales et politiques, la définition employée dans la littérature évolue aussi. Il ne faut pas négliger les capacités de base, car les définitions récentes, plus holistiques, en découlent. Toutefois, la vision clinique étroite de la littératie en santé ne tient pas spontanément compte des facteurs sociaux et systémiques de la santé qui, nous le savons aujourd’hui, sont primordiaux pour la santé des populations (Smith, 2009).
Le modèle de santé publique de la littératie en santé semble prometteur pour aborder les disparités individuelles et collectives au sein de systèmes de santé complexes et en transformation rapide; toutefois, les données à l’appui d’une telle notion sont très partielles et souvent vagues (Ministère de la Santé du Nouveau-Brunswick, 2016). Selon Birtler (2014), l’intégration des éléments prouvés des sciences cognitivo-comportementales dans les programmes d’éducation sanitaire augmenterait la probabilité que des particuliers prennent acte de l’information offerte. Dans l’ensemble, il y a encore un manque d’éveil à la littératie en santé et peu de concordance quant à sa signification chez les praticiens, les décideurs, les apprenants débutants d’âge adulte et le grand public (Association canadienne de santé publique, 2008). Pour améliorer la littératie en santé et les comportements sanitaires, il faut des interventions structurées qui auront l’appui de ces acteurs privilégiés (Rustvold, 2012). La littératie en santé est un facteur important de disparité et d’équité dans les soins de santé, et elle doit être abordée dans la réforme des soins de santé. Pour cela, les intervenants doivent absolument s’adresser aux acteurs privilégiés, comme les patients et le grand public, et leur rendre des comptes. Nous devons assumer la responsabilité des déterminants comme l’analphabétisme en santé, qui entravent l’accès rapide et efficace aux soins primaires et de santé.
Bibliographie
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