La santé publique et les budgets d’austérité : un dilemme
Avec le récent exposé budgétaire et le dépôt du Budget principal des dépenses, la saison du budget fédéral bat son plein. Le message de notre gouvernement ne change pas : le budget fédéral doit être équilibré avant que l’on puisse appliquer des mesures supplémentaires pour stimuler l’économie – probablement des réductions d’impôt. Plusieurs organismes de santé ont réagi au budget en disant que la prudence budgétaire est importante, mais que cette prudence peut inclure des investissements bien choisis. L’un de ces organismes, la Coalition canadienne pour la santé publique au 21e siècle (coprésidée par l’ACSP), a souligné le bon rapport coût-efficacité des mesures de santé publique.
Le récent Rapport sur les plans et les priorités (RPP) et le Budget principal des dépenses donnent d’autres précisions sur les réductions qui touchent le portefeuille de la Santé. Son budget a été réduit d’au moins 10 %. Même les secteurs désignés comme étant prioritaires par le gouvernement ont écopé. Par exemple, on avait promis à la population des mesures renouvelées pour renforcer les régimes d’inspection des aliments; pourtant, l’Agence canadienne d’inspection des aliments se verra couper 69 millions de dollars de plus en financement, lesquels s’ajoutent aux compressions budgétaires à Santé Canada, à l’ASPC et aux IRSC (de 200,6 millions, 68 millions et 45 millions de dollars, respectivement) au cours des deux dernières années. Des économistes inquiets ont récemment exhorté le ministre des Finances d’alors Jim Flaherty à ralentir les mesures d’austérité et à favoriser la croissance économique canadienne1. Ces mesures d’austérité pourraient toutes changer avec le prochain budget… mais nous verrons bien.
À l’étranger, les mesures d’austérité sont souvent établies comme condition d’emprunt auprès des institutions financières internationales comme le Fonds monétaire international (FMI), surtout en période de crise économique. Ironiquement, le FMI a admis dernièrement que les budgets d’austérité, qui ciblent d’ordinaire les programmes sociaux et de bien-être, pourraient en fait ralentir ou annuler la reprise économique2.
Deux exemples montrent clairement l’influence que peuvent avoir les programmes de santé publique en période d’austérité. Le premier est celui de la Grèce. Avec une dette égale à 170 % du PIB, le gouvernement grec a cessé de pouvoir honorer ses obligations, précipitant ainsi une crise de confiance, une hausse des rendements des obligations et, en bout de ligne, l’effondrement de l’économie. Les banques européennes et le FMI ont organisé un plan de sauvetage économique conditionnel à l’application de mesures d’austérité. Pour respecter ces exigences, la Grèce a réduit son budget de santé publique de 40 %, ce qui a entraîné une hausse de 200 % des infections à VIH, une éclosion de paludisme et une hausse de 24 % des hospitalisations. Ces hausses ont exercé une pression accrue sur les ressources en soins de santé déjà déclinantes. En outre, les hôpitaux ont été obligés d’instaurer des droits d’entrée de 5 €, que beaucoup de gens n’ont pas pu se permettre de payer en raison du taux de chômage élevé et des compressions dans les services sociaux3. Enfin, les efforts pour combler les déficits des soins de santé en supprimant des emplois ont poussé les médecins à faire la grève, ce qui a réduit encore davantage l’accès aux soins4. Durant les quatre premières années de la crise financière grecque, les suicides ont augmenté de 45 %5.
Le contre-exemple est celui de l’Islande. De 2008 à 2011, ce pays était aussi aux prises avec une crise économique qui a fait gonfler sa dette à 800 % du PIB. Toutefois, le gouvernement islandais a cherché à stabiliser les dépenses en soins de santé plutôt que d’opter pour des mesures d’austérité. L’Islande n’a eu aucune augmentation de ses taux de dépression et de suicide, aucune éclosion de maladie; au contraire, elle a réussi à accroître son PIB et à réduire son taux de chômage. Le redressement du pays a été applaudi par le FMI, qui l’a cité en exemple dans toute l’Europe. Soyons clair : nous ne prétendons pas qu’il y a là une relation de cause à effet. Néanmoins, il est probable que le maintien des dépenses en soins de santé a donné une main-d’œuvre en meilleure santé, et donc plus efficace, qui a pu répondre aux exigences économiques du pays.
L’ACSP comprend qu’il faut dépenser prudemment pour équilibrer le budget du Canada; cependant, les données montrent que les investissements en santé publique jouent un rôle considérable dans la croissance économique. Nous savons aussi que jusqu’à 80 % du fardeau actuel des maladies au Canada est dû aux maladies chroniques évitables6, et qu’investir dans la promotion de la santé et la prévention des maladies pourrait considérablement réduire les dépenses en soins de santé du Canada dans un proche avenir.
Les dépenses de santé publique pour les programmes de prévention des maladies et de promotion de la santé sont rentables et créent des économies; les pays dont les infrastructures et les services de santé publique sont robustes obtiennent de meilleurs rendements sur le capital investi.
- Weir E. Statement by 70 Canadian economists against austerity. Sur Internet : www.progressive-economics.ca/2014/02/11/economists-against-austerity/ (consulté le 3 mars 2014).
- Blanchard O, Leigh D. Growth forecast errors and fiscal multipliers. Bruxelles (Belgique) : Fonds monétaire international, 2013.
- Beaumont P. Greece’s health care system is on the brink of catastrophe. The Guardian 5 août 2011; Sur Internet : www.theguardian.com/world/2011/aug/05/greece-healthcare-brink-catastrophe.
- Guillot A. Greek doctors strike as government moves to tackle health care debt. The Guardian 10 décembre 2013; Sur Internet : www.theguardian.com/world/2013/dec/10/greece-doctors-strike-healthcare-reforms.
- Gatopoulos D. Suicides in Greece spike during financial crisis. Huffington Post 10 septembre 2013; Sur Internet : //www.huffingtonpost.com/2013/09/10/greece-suicides_n_3900906.html.
- Coalition canadienne pour la santé publique au XXIe siècle (CCSP21). Un investissement dans la santé publique : un investissement pour la relance économique et la prospérité future du Canada : Mémoire adressé au Comité permanent des finances. Ottawa (Ontario) : ACSP, 2011.
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